Les dominos

J’t’un domino, mais pas le jeu où les points comptent, plus la version où tu essaies d’aligner les dominos perpendiculairement sur un long trajet sinueux. Ce jeu où tu passes beaucoup trop de temps à les coller sur des espaces réguliers pour finalement donner une pichenotte sur le premier et les regarder s’écrouler les uns sur les autres. Chaque domino en fait tomber un autre sans se soucier de qui va atténuer sa chute.

J’me demande même pas pourquoi le domino avant moi n’a pas pris ses distances pour ne pas m’emmener dans sa cascade, c’est la game. J’passe pas de temps à m’demander pourquoi c’te pièce-là ne s’est pas servie de ma pièce à moi pour bâtir quelque chose de solide au lieu de se servir de moi pour avoir un moins gros impact sur le sol. Probablement que c’te pièce-là m’pousse juste pour savoir si elle en est encore capable, savoir si après avoir combiné son domino avec une autre, pour faire un score de trois, a l’a encore la touch. Savoir si elle se rappelle de la distance qu’il faut pour faire tomber quelqu’un sans avoir à s’impliquer. Pis, j’m’en fous. Parce que j’imagine que j’aime ça, bâtir des mosaïques pendant des heures pour pouvoir révéler le résultat en détruisant tout.

J’t’aide à créer en m’détruisant, j’te dis exactement où m’placer, sous quel angle et où m’toucher pour un plus grand impact. On s’dit qu’ensemble, on va tout détruire pis qu’on va s’en crisser au final. Juste parce que ça aura été l’fun pis que ça ne compte pas vraiment. Sans même se soucier de qui on va faire tomber avec nous. J’imagine que c’est pour ça que dans ma tête, on fait un beau duo-domino. C’est même comme ça que j’réussis à m’endormir le soir et à me réveiller le matin, en imaginant qu’est-ce que ça donnerait au final si ton domino touchait le mien. J’ai juste envie de retenir mon souffle quelques secondes en attendant de voir le résultat final, juste ce moment en suspend où tout va fonctionner ou tout va se gâcher.

J’fais la même chose avec les pièces qui tombent après moi. J’vais créer l’effondrement du revers de la main et regarder si j’ai tout bien calculé, si toutes mes pièces ont la bonne distance émotionnelle nécessaire pour tomber en fabriquant du beau. Des fois, c’est le fun de construire pour ensuite tout détruire et voir les pièces s’étaler de tout leur long les uns contre les autres. On va s’dire « détruis-moi » comme si on était que de vulgaires morceaux de plastique, comme si l’impact allait rien nous faire et que c’était pas mal le but du jeu anyway. C’est tout ça qui est l’fun.

Fun jusqu’à ce qu’on doive ramasser les pièces.

Texte par Les histoires inachevées
Crédit photo couverture : Sophie Carrier

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