Routine interrompue, partie 1

Kim se levait tous les jours à la même heure. Ou presque. Son cadran interne était parfois déréglé par la lumière du soleil qui entrait par les craques entre les deux rideaux ou par les cris de sa fille. Les deux options lui faisaient le même effet : un sentiment d’impuissance se réveillait en elle et l’envahissait de doute. Sa routine commençait tranquillement en se déclinant en redondances et gestes mécaniques. Sans vraiment faire travailler son cerveau, sa matinée avançait sans tracas, sans flafla, et les jours se ressemblaient. Parfois, Kim se surprenait à avoir des pensées de sable chaud sous ses pieds ou juste de paysages verts et frais, mais ça ne durait pas bien longtemps et un bol de céréales lancé par terre la ramenait vite les deux pieds sur son sol de cuisine froid et terne.

Après 974 jours à se lever, manger, s’habiller, s’occuper de sa petite, travailler et refaire le tout en sens inverse, le patron de Kim lui annonça une coupure dans le budget de l’entreprise. Son poste temporaire était devenu chose du passée en laissant sa place aux plus jeunes, frais sortis de l’école. Aucune question ne lui est passée par la tête lorsque son supérieur lui a offert de répondre à ses interrogations, aucune émotion ne s’est affichée sur son visage, et encore moins dans son esprit.

De la même façon que les 974 derniers jours, Kim est passée chercher sa fille chez sa gardienne et a pris les mêmes rues la rendant jusqu’à son petit appartement de 2 pièces et demie. Le gros chat roux de son voisin sourd était dans la ruelle arrière et faisait son habituelle tournée de fin de journée avant d’aller s’écraser au chaud. Joseph, le voisin, la saluait de son balcon avec son perpétuel signe de la main bas, mais rempli de volonté. Son vieil âge était facilement trahi par ses plis de mentons descendant à l’infini dans son cou, mais c’était surtout son regard vide et plein tout à la fois qui laissait savoir qu’il avait connu et certainement vécu la Seconde Guerre mondiale. Avec sa fille dans les bras, Kim lui rendit son bonjour avec un sourire sincère et un hochement de la tête. En mettant sa main sur la poignée de la porte arrière, un frissonnement lui parcourut le dos quelques brèves secondes. Elle avait dû oublier de barrer ce matin en partant, se répétait-elle intérieurement. Mais ce n’était pas du tout dans son habitude d’oublier quelque chose d’aussi important. En entrouvrant la porte tranquillement, sans laisser transparaître sa peur devant sa fille et son voisin, elle ramassa son courage en très petites doses et scanna du regard l’intérieur éclectique, mais rangé, de son petit 2 1/2.

À SUIVRE…

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