Chère Beauté,
Je voudrais simplement te dire qu’à cause des standards que tu m’imposes, je me sens laide. Terriblement laide, et ce, depuis ma tendre enfance. Tu me mets sous les yeux des publicités où les femmes sont parfaites. Elles n’ont aucun kilo en trop et chacun de leurs grains de beauté semble être situé juste là où ils le devraient. Mais moi, je ne corresponds pas à ton idéal. J’ai des vergetures un peu partout sur le corps, de la cellulite, des poignées d’amour et surtout je n’ai pas de thigh gap. Chaque jour, tu me fais sentir un peu plus mal de ne pas avoir le ventre plat dont on rêve, toutes les deux.
Donc je vais me mettre à diminuer mes portions, voire à m’empêcher de manger. Je te le jure, Beauté, que je vais avoir ce corps de rêve que tu me pousses à avoir depuis mes 8 ans. Mais quand je vais enfin peser les 110 livres que tu m’infliges pour mes 5 pieds 3, est-ce que je vais me sentir finalement belle ?
Par les médias, tu me montres des femmes que tu considères comme belles. Elles sont loin de me ressembler, je te l’assure. Elles, elles sont parfaites. Du moins, selon toi. Mais plus je les vois, ses femmes, plus j’y crois, moi aussi, à cette idée de perfection. Tu me montres, au travers mes yeux de jeune femme, que c’est toi, la beauté, qui attire les hommes de nos jours. J’ai beau avoir une cote R de 30, si je n’ai pas un corps idéal, ça sert à quoi ? Tu prônes la beauté physique plutôt que l’intelligence. Est-ce normal ? Tout le monde tente d’adhérer à tes standards, donc probablement que ce l’est et que c’est moi qui ai tort. Encore une fois.
Je dois avoir des jambes longues, tellement longues qu’elles ne finissent plus. Une poitrine si voluptueuse que même les femmes se retournent à mon passage. Des fesses à la Kim Kardashian. Une certaine féminité, je dois porter des robes, courtes, et du maquillage, mais ça doit sembler naturel. Il ne faut pas penser que j’ai passé plus de 3 heures devant la glace quand, au fond, c’est le cas. Je dois être mince, assez fine pour entrer dans une taille 0. Avec les smoothies verts, les thés amaigrissants et les exercices du genre 30 days AB Challenge, ça paraît facile d’y arriver. Tellement facile. Je me rendrai compte que ça ne fonctionne pas aussi bien, aussi vite que je… que tu le souhaiterais.
Un beau jour, je vais me lever comme à l’habitude. Je vais me retrouver devant mon reflet comme je le fais tous les matins. Puis, je vais m’écœurer. C’est dans ma routine de me trouver laide, grosse et fade. Cependant, ce matin-là, ce ne sera pas comme tous ces autres matins. Cette fois-ci, je voudrai plus. Tu sais ce qui est le plus fâchant dans cette situation, chère Beauté, c’est que ce jour n’est pas dans quelques années, quelques mois ou bien demain. Ce jour, c’est aujourd’hui. C’est mon combat quotidien.
Je me bats contre toi, constamment. Nous le savons toutes les deux, tu es bien plus forte que moi. La preuve : tu as réussi à me mettre en guerre contre moi-même. Nous sommes maintenant deux à me détester. Tu as gagné, félicitations.
Or, tu as beau me sous-estimer, il y a une chose que tu ne sais pas de moi. Je suis tenace, j’ai du feu dans les yeux. Je ne cherche pas à te plaire, non. Je vais te charmer.
Je vais commencer par manger de moins en moins. Ensuite, ce sera le déjeuner qui s’effacera de mon alimentation. Les dîners et les soupers suivront. Il ne me restera que les médiocres collations que je me traîne pour ne pas perdre connaissance. Je me préoccupe tout de même de ma santé, voyons ! Je te le garantis, lorsque je me regarderai à nouveau dans le miroir, je serai une femme différente. J’aurai le teint pâle, des poches sous les yeux et les cheveux qui tombent. Je me sentirai faible, mais ce n’est pas grave. Je serai enfin belle. Enfin parfaite. Je serai aussi mince que ces mannequins que tu me montres à longueur de journée. On verra, tout comme elles, les os de ma clavicule et de mes côtes.
Je rêve de ressembler à ces modèles que tu m’apprends à aimer depuis toujours. Ventre plat, cuisses minces, cheveux longs, lèvres pulpeuses, yeux en amandes, nez fin, joues creuses, front étroit, cou long sont les choses que tu me vends chez elles. Fâcheusement, il y a des trucs que je ne peux modifier aussi facilement que ma bedaine. Mais ça, tu le sais, tu n’es pas idiote.
Dans les publicités, non seulement tu me vends le corps idéal, mais tu me vends aussi des solutions pour y parvenir. Dans le métro, je vois ces panneaux qui m’offrent des rhinoplasties à moitié prix. Quand je perds mon temps sur Facebook, tu me lances des rabais sur les liposuccions dans les bureaux de Dr Paye-pour-être-belle. Tu me proposes des injections au botox dans les lèvres et dans le front, ainsi mon visage se figera. Il sera éternel, il défiera le temps. Tu me suggères des augmentations mammaires pour, encore une fois, braver les limites de la gravité quand le temps viendra et atteindre un bonnet DD. J’ai des rendez-vous toutes les quatre semaines pour me refaire les ongles. J’ai les cheveux qui frôlent mes fesses grâce à mes rallonges de 24 pouces. Je dépense la quasi-intégralité de mes payes au Sephora pour me faire du contouring et pour reproduire les maquillages des Youtubeuses les plus célèbres. Ma somptueuse beauté, je la dois à ma carte de crédit et à toi, chère Beauté. Après tout, c’est toi qui m’as vendu cet idéal la première, non ?
J’entame ma vie d’adulte avec le crâne bourré d’images de femmes parfaites. « Parfaites », mais pour qui ? Tu en as convaincu plus d’une, que tu savais de quoi tu parlais. Ma sœur, ma voisine, cette fille à qui je ne parle pas dans mon cours d’éducation physique, toutes ces femmes et même ces hommes, nous t’avons cru. Nous croyions que tu étais juste, que tu nous disais la vérité. Mais, au fond, je suis persuadée que tu avais tort. Qui l’aurait cru ?
Je commence à voir des femmes fortes. Des femmes fières de qui elles sont. Elles se trouvent belles et intelligentes. Je les envie tellement. Un peu comme je le faisais avec les mannequins de Victoria Secret que tu me montrais et me demandais d’aimer. Je désirais du plus profond de mon âme leur ressembler. Me balader en sous-vêtement sans avoir honte de mon corps comme elles le font. Aujourd’hui, c’est différent.
Maintenant, je souhaite être comme ces femmes fortes dont je te parle, celles qui sont ingénieuses. Je m’imagine être à la place de cette mère de famille qui a sacrifié ses rêves pour élever ses enfants, de cette femme qui entame des études universitaires pour exercer le travail qu’elle veut faire, de cette femme qui est bien dans son corps et fière de ce dernier même s’il a quelques bourrelets en trop. Ces femmes, elles sont belles. Immensément belles. Et tu sais quoi, chère Beauté ?
Un jour, je gagnerai mon combat contre toi. Je serai une de ces femmes. Je serai belle.
Texte par Karolane Masson