j'ai peur d'avoir toujours peur

J’ai peur d’avoir toujours peur

On m’a violée. On m’a battue. On est entré dans mon intimité. On m’a brisée. 

C’est difficile de passer par-dessus un événement pareil. Aujourd’hui, plusieurs années plus tard, je vis cette soirée sans cesse dans ma tête, dans mon corps, dans mes tripes, dans mon âme. Il n’y a jamais eu de dénonciation, jamais eu de procès, jamais eu d’arrestations ; rien. J’ai gardé le silence. J’avais peur. Je ne peux pas regarder la vie sans faire référence à ce bout de mon passé. 

J’habite seule pour la première fois, et il m’arrive souvent d’avoir peur. Chaque bruit, chaque craquement, chaque ombre me glacent le sang. Je suis en thérapie depuis 2017, j’en parle, j’essaie de vivre avec. Mais mes démons… ce démon est encore là, peu importe ce que je fais. Aucun médicament, aucune parole, aucune thérapie, aucun mot ne peut me libérer entièrement. Je suffoque quand on est trop près de moi, j’ai besoin de ma bulle. Quand on frôle mon corps, je me crispe et je réagis. J’ai horreur d’avoir quelqu’un dans mon dos, mes poings se serrent. Souvent, on me dévisage en me traitant de folle. 

Quand je vais me coucher le soir, je m’assure que les rideaux sont tous bien fermés. Je vais vérifier que mes deux portes sont bien barrées. J’ouvre mon rideau de douche pour être certaine de voir ma baignoire. J’ouvre mes portes de garde-robes, je regarde et les referme. Quand je me couche dans mon lit, je vérifie que le couteau que j’ai caché est encore là. J’ai peur. Je crois que j’aurai toujours peur. Je n’ai jamais habité seule, je me suis sentie en sécurité longtemps parce que j’avais une présence, je pouvais, du moins, essayer de ne pas avoir peur.

J’essaie de ne pas écouter les nouvelles, de ne pas trop suivre l’actualité. Mais même si je tente d’éviter le laid, il y en a partout, on est entouré, envahi. Il y a eu la vague #metoo ; les nombreuses dénonciations, des procès, des personnalités qui se sont suicidées, des catastrophes naturelles, des tueries dans des écoles, des attentats, la guerre, Trump et encore plus. Au cinéma, dans nos séries et nos émissions québécoises, on parle de la réalité du monde dans lequel on vit, on parle de viol, de prostitution juvénile, de trafic humain, de suicide, de gens qui décident de tirer avec un fusil dans une foule, de faire exploser des bombes, de gouverner et de faire n’importe quoi. Avec tout ça, je n’arrive pas à ne pas avoir peur. 

J’ai écouté Grey’s Anatomie, 13 reasons why, Fugueuse, Unité 9, Victor Lessard, Blue Moon, American Horror Story, dans tous il y a du beau et du laid et c’est impossible de ne pas réagir, de ne pas ressentir des émotions qui font mal, qui ont un lien avec notre vécu, nos blessures. On ne peut pas éviter de faire des références avec notre propre vie, notre passé, notre présent. Chaque chose, que l’on voit ou que l’on vit, fait toujours revenir les souvenirs, bons ou mauvais.

Je l’avoue, j’ai peur. J’ai peur de toujours avoir peur, de ne jamais être capable de vivre complètement avec cette peur, avec des souvenirs qui font mal, encore aujourd’hui. On m’a déjà dit qu’on devient ce qu’on a été, que notre passé crée ce qu’on sera. C’est vrai. On n’oublie jamais vraiment, mais on apprend, on grandit et on évolue.

J’ai confiance qu’un jour, je saurai comment mettre ma peur de côté, d’apprendre à l’apprivoiser et peut-être même, un jour, la transformer en quelque chose de beau.

Karelle gauthier

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