Chaque jour un petit souvenir au creux de ta tête s’envole.
Tu n’es plus la même que je connais depuis toujours.
Tout a changé en toi, ta façon de parler, de t’exprimer, de te coiffer, de raisonner ou même de marcher. Tu oublies beaucoup de choses au quotidien et tes souvenirs lointains disparaissent peu à peu. Tu es arrivée à une étape où tout dérape à vitesse grand V.
Je m’ennuie de ma mamie si douce, câlineuse et allumée. Je sais qu’elle ne reviendra pas, que je dois faire un deuil car tu es atteinte de la maladie d’Alzheimer, cette maladie synonyme d’oubli, de maladresse et de perte d’autonomie. Tu as encore assez de conscience pour te rendre compte de ton état et c’est le plus triste et désolant. Tu as des journées où tu vas relativement bien et que tu arrives à vaquer à tes occupations et d’autres où c’est le chaos dans tête, dans tes pensées. Ta mère en était atteinte et tu t’es occupée d’elle avec un don de soi incomparable. Tu lui préparais des bons petits plats, faisais sa toilette, lui peignais les cheveux, prenais soin d’elle. Elle ne te reconnaissait même plus en tout dernier, cela te rendait si triste. Tu as tellement prié de ne pas avoir à ton tour un jour cette maladie destructrice. Parfois, simplement te souvenir de ce que tu as mangé au souper est un effort surnaturel. L’autre jour tu pleurais en me mentionnant à quel point tu angoissais à l’idée de ne plus te souvenir un jour de nous, ta famille que tu aimes tant.
Tu appréhendes l’avenir et nous encore plus.
Cela fait environ cinq ans que tu as des symptômes légers, mais disons que le coup de grâce fut lorsque papi est décédé il y a deux ans. Tout a dégringolé à une vitesse fulgurante, tu venais de perdre ton plus grand repère, l’amour de ta vie, ton meilleur ami, ton coéquipier, celui qui vivait à tes cotés depuis 70 ans. C’était beaucoup trop d’émotion et ce fut le déclic pour que la maladie prenne possession de ton corps. Tu le cherchais partout, l’imaginais et entendais sa voix constamment. Nous pensions que c’était passager, que le temps arrangerait les choses mais non au contraire, ce fut une dégringolade. Nous avons fait des démarches pour te donner toute l’aide possible.
Ce fut long et complexe avant d’être entendus par notre système de santé, puis une journée tu as fait une crise plus intense qu’à l’habitude, nous avons dû appeler l’ambulance et ce fut à partir de cet instant que tu fus enfin prise en charge.
Depuis, tu es suivie par des spécialistes et reçois maintenant une médication qui pourrait, si nous sommes chanceux, ralentir un peu le processus de la maladie. L’évolution étant déjà assez avancée, nous sommes conscients que chaque jour tu perdras des facultés. La semaine dernière, il y avait une soirée dansante organisée à ta résidence, toi qui aimais tant danser et ce depuis toujours, lors de cette réception. Mais tu n’y es jamais arrivée, tu n’arrivais pas à suivre le rythme, à placer un pied devant l’autre. Tu adorais faire des mots croisés, les lettres s’embrouillent maintenant dans ton esprit. La lecture était une passion, chaque soir tu lisais au moins un chapitre d’un roman que tu choisissais avec attention. Mais comme tu ne te souviens d’aucuns détails le lendemain, tu as lâché prise. Simplement tenter de suivre une émission de télévision est devenu impossible pour toi. Tu aimais tellement t’installer dans ton fauteuil berçant avec un thé à suivre tous les téléromans. Agencer tes vêtements est devenu si ardu, toi qui as toujours été coquette.
C’est d’une tristesse infinie.
Ton quotidien n’est plus ce qu’il était et il ne reviendra jamais. Au contraire, il va continuer à se dégrader. Ce n’est pas évident d’accepter la situation pour nous qui t’aimons tant, mais nous le devons justement pour t’aider et t’outiller. Je vais souvent faire l’épicerie avec toi et tu sembles bien souvent désemparée. Tu oublies ta liste ou tu n’arrives simplement pas à t’orienter. Tu ne peux d’ailleurs plus cuisiner, toi qui m’as appris la cuisson de plein de bons petits plats et recettes familiales. Tu dois prendre tes repas en bas, car nous avons tous trop peur d’un oubli qui pourrait être tragique. Tu prends tes repas en bas, au restaurant avec tes amies résidentes, ce qui te donne l’occasion de socialiser un peu chaque jour. Chaque jour, j’essaie de trouver le temps de te téléphoner pour prendre de tes nouvelles et valider ton état de la journée. Lorsque je te visite, je repars le cœur triste de voir ta vie, tes souvenirs fuir ton esprit.
Des parcelles de toi te quittent chaque jour. Je croise les doigts aussi de ne jamais avoir à vivre moi-même avec cette maladie qui selon moi est une des pires, car elle est invisible pour les yeux mais si destructrice pour le cœur et l’esprit.
Je serai à tes côtés jusqu’à la toute fin même si bientôt je sais que tu ne me reconnaîtras plus…
Je t’aime ma petite mamie d’amour.


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