Je le connais depuis longtemps. Il a toujours été «un peu spécial». Au début, on pense qu’il est un génie incompris. Puis, peut-être à cause de l’intimidation dont il a été victime trop longtemps, il commence à montrer des signes de violence, il dirait d’autodéfense, je crois. Des armes ici et là, des techniques d’arts martiaux, il expose sa puissance. Je crois qu’il veut inspirer le respect de cette façon… Il dit aussi qu’il a des super pouvoirs! Ça fait un peu Dwight dans The Office, ça parait tout de même assez inoffensif, au début.
Puis, quelqu’un m’a confié qu’il avait déjà tenté de l’étrangler lors d’une sortie au bar. C’est devenu moins drôle tout d’un coup.
Normalement, j’ai le réflexe d’éviter ce genre de personne quand ça commence à être un peu inconfortable, c’est un peu naturel. Toutefois, dans son cas, c’est extrêmement difficile, car il est partout. Malheureusement, nous sommes dans les mêmes cercles professionnels et il travaille très fort à remplir son CV.
J’ai essayé de continuer à m’impliquer, mais je ne suis pas capable de tolérer de faire partie d’un comité et de ne rien y faire. Je veux essayer d’améliorer les choses, je suis faite comme ça. Mais quand je suis inévitablement dans le même comité que lui, qui est surtout là pour son trip de pouvoir, ça fait un clash.
J’ai essayé de me tenir debout. Il s’est fâché. Il a envoyé des dizaines de messages à quelqu’un avec qui il croyait que je complotais. Il s’est tenu derrière une porte durant une réunion à laquelle j’assistais, il m’a acculé au mur, avec la veine qui sortait dans le front, pour me dire qu’il voulait que je le laisse faire ce qu’il voulait…
J’ai eu peur, j’ai donc tout lâché ce qui pouvait me mettre en contact avec lui. J’ai dû sacrifier plusieurs activités que j’appréciais à cause de lui. Bien sûr, lui, continuait de bâtir son CV. Si bien qu’il a réussi à obtenir un convoité poste de professeur dans une institution d’enseignement supérieur, même s’il n’a pas le diplôme requis.
Bien que je ressente certainement de la jalousie envers le fait qu’il soit aussi talentueux à convaincre les gens de sa compétence, je suis surtout inquiète. Il est maintenant en situation d’autorité. Il travaille avec des jeunes hommes et des jeunes femmes dans des projets parascolaires, parfois même hors de la ville. J’ai peur qu’il abuse de son pouvoir. J’ai peur qu’il nuise à ceux et celles qu’il pourrait percevoir comme une menace, s’ils osent le critiquer, par exemple. Il y a un risque réel que ça arrive.
J’aimerais le dénoncer, j’ai déjà tenté de le faire, mais il n’y a pas de preuves de ce qu’il a fait. Il ne m’a jamais formulé de menaces claires et ce n’est pas à moi qu’il s’est attaqué physiquement. Ce n’est pas (encore) du domaine de la police ou même répréhensible aux yeux des employeurs, mais c’est quand même inacceptable. C’est mon sentiment d’impuissance face à ceci qui me pousse à écrire, même anonymement, un texte pour en parler.
Je sais qu’il est loin d’être le seul professeur qui n’aurait pas dû se retrouver dans cette position et qui nuira à l’avenir de ceux qui auront la malchance de se trouver sur son chemin. Je n’en reviens pas que les institutions d’enseignement supérieur engagent des professeurs sans test psychométrique rigoureux, qui empêcheraient sûrement ce genre de personnes de se faufiler.
J’espère que les choses vont changer.

