Intervention

La réalité de l’intervention et l’importance de prendre soin de soi

Il est important de souligner les apports humains et sociaux apportés par chaque individu ayant fait le choix de dédier sa carrière et des bouts de sa vie personnelle pour aider et soutenir son prochain. Les psychologues, les travailleurs sociaux, les sexologues, les psychoéducateurs, les techniciens en travail social, les techniciens en éducation spécialisée, les proches aidants et toutes personnes et professions en relation d’aide… Malheureusement, ça ne va pas sans mettre en lumière les côtés sombres de notre métier. C’est aussi important de se faire un petit reminder pour tous ceux qui, en ce moment, rushent un peu plus.

Le suicide des deux jeunes intervenantes de la DPJ de Montréal a suscité une vague de remises en question, de doutes et d’émotions. Ça m’a beaucoup ébranlée et ce fut une claque dans la face de constater que la détresse psychologique chez mes collègues de tous les secteurs et de tous les territoires était aussi… criante. Que ma propre souffrance existe aussi parfois.

Je suis technicienne en travail social depuis presque 8 ans, travailleuse sociale depuis 2 ans et j’ai commencé ma carrière d’intervenante durant mon DEC, il y a près de 10 ans. J’ai travaillé avec des familles démunies, des enfants souffrants de graves retards de développement, des ados puckés, des adultes ayant des problèmes de santé mentale et de dépendance, des personnes en situation d’itinérance, des personnes incarcérées et en probation, parfois ayant commis de graves crimes contre autrui, des gens voulant s’enlever la vie, des gens désirant se faire du mal, mais aussi des gens désirant me faire du mal, des adolescentes, des femmes et des hommes ayant vécu des agressions à caractère sexuel, etc.

J’ai toujours dit que c’était un réel privilège de faire partie intégrante d’un parcours de développement personnel, de se faire livrer des confidences aussi intimes, d’occuper cette position et de voir les humains que nous rencontrons grandir. Rien qu’en l’écrivant, rien qu’en le disant, 10 ans plus tard, j’ai encore les mêmes frissons qu’au début et je le pense sincèrement. Mais ce n’est pas toujours aussi beau. Tout ce que j’ai pu entendre, voir et constater sur la souffrance humaine, sur les pires côtés de notre société… Je vous jure que ce n’est pas tout le monde qui serait en mesure de porter toute cette souffrance tous les jours sur son dos, pis c’est ben correct. Plusieurs ne sauraient quoi faire de ces récits d’horreur, comme moi à certains moments ou comme d’autres, pendant trop longtemps.

En intervenant, nous vivons dans une réalité teintée de noir et, quand nous n’avons pas choisi de faire partie de cette réalité, nous n’avons pas autant conscience de la souffrance que les gens de notre entourage — nos voisins, nos collègues, un enfant croisé à l’épicerie, une personne âgée qui prend une marche — vivent… Ce n’est pas seulement dans les endroits les moins bien cotés de votre région que la souffrance se propage.  

Être en intervention, ça vient aussi avec des commentaires comme « Ouin… mais je ne comprends pas trop concrètement ce que tu fais avec les gens que tu rencontres »,« Mon Dieu que je ne ferais pas ta job… », « My god, ça ne doit pas être facile tous les jours… », « T’es bonne, moi je ne serais jamais capable. » Ça crée une espèce de pression de performance, un faux sentiment d’invincibilité et ça augmente notre réflexe de faire attention à chaque mot que nous utilisons pour parler de notre job dans le but de ne brusquer personne, de ne pas briser la confidentialité, de ne pas donner trop de détails que quelqu’un aurait du mal à recevoir.

Oui, il y a plusieurs belles couleurs vives dans cette réalité aussi, évidemment. Nous entendons tous de beaux récits qui se concluent sur du positif, des personnes qui s’en sortent… Mais ces personnes, sur qui notre intervention a eu du sens, quittent notre bureau lorsqu’elles vont mieux. Nous savons que ça a bien fonctionné, mais nous ne sommes pas témoins des impacts positifs. Quand une sérénité arrive chez quelqu’un, cette personne quitte pour laisser la chaise libre à une autre qui souffre.

Et, malgré tous nos facteurs de protection, nous ne pouvons pas négliger notre réalité et l’impact que celle-ci peut avoir sur nous. Nous avons beau avoir étudié des années, il n’y a rien qui nous prépare à ce qu’est réellement notre quotidien. Je crois que nous possédons une grande force intérieure, un sixième sens, des références, beaucoup d’expérience, beaucoup d’empathie, beaucoup de sensibilité, beaucoup d’écoute, beaucoup de disponibilité et d’ouverture face à l’autre… Nous sommes solides, mais en plus des situations auxquelles nous sommes confrontés au travail s’ajoutent les difficultés personnelles (anxiété due au contexte actuel, séparation, mauvaise nouvelle, problème de famille, deuil, maladie, jugement de l’entourage…) et la fatigue qui peut nous habiter est alors encore plus grandissante.

Parce que oui, je crois qu’être toujours autant tourné vers l’autre peut nous être néfaste et peut nous amener à nous négliger nous-mêmes, à nous mettre sur le dos des choses qui ne nous appartiennent pas, à nous dévouer un peu trop pour la cause… À sombrer, nous aussi, dans cette souffrance. Il devient alors d’une grande importance de la reconnaitre et de la prendre en charge. Alors…

C’est correct si tu te sens mal.

C’est correct de ne pas avoir envie de voir ou de parler à quelqu’un.

C’est correct si tu te sens à bout de souffle.

C’est correct si tu ressens le besoin de t’isoler.

C’est correct si tu ressens le besoin de pleurer.

C’est correct si tu te reconnais à moitié ces temps-ci.

C’est correct si tu ne brilles pas autant qu’avant.

C’est correct si tu n’es plus aussi dynamique et drôle qu’avant.

C’est correct si tu n’es plus aussi actif qu’avant.

C’est correct si tu souris moins qu’avant et que tu as du mal à contrôler ton trop-plein d’émotions.

C’est correct si, parfois, tu le pitches sur quelqu’un même si tu sais que tu ne devrais pas.

C’est correct si tu remets tout en question autour de toi.

C’est correct si tu te sens éteint.

C’est correct si tu as envie de prendre une longue pause.

C’est correct si tu ne te sens plus bien dans certaines situations ou auprès de certaines personnes.

Tout ce que nous ressentons est valable, légitime, a lieu d’être, pis c’est correct. Seulement, si tout ce que nous ressentons prend de plus en plus de place, nous étouffe, nous fait un peu suffoquer et nous envahit, je crois qu’il est temps de nous accorder une petite pause et d’accepter, par moment, un état pas mal moins le fun, mais normal. Nous accorder le temps dont nous aurons besoin et le meubler de la manière que nous voulons. Accordons-nous le temps d’une pause avant que la noirceur ne nous empêche de respirer.

Que vous soyez un professionnel de la relation d’aide ou non, il existe plusieurs ressources disponibles, si vous en ressentez le besoin, de manière confidentielle et anonyme. Des ressources spécialisées existent pour plusieurs problèmes et, en appelant à Info-Social (811, option 2), ils pourront vous guider vers les ressources appropriées dans votre région.

Sinon, il existe aussi plusieurs lignes téléphoniques d’écoute et de soutien. En voici seulement quelques-unes parmi plusieurs disponibles :

Tel-Jeune : 1-800-263-2266/textos : 514-600-1002/clavardage en ligne sur leur site web.

SOS Violence conjugale : 1-800-363-9010/textos : 438-601-1211.

Ligne-ressource provinciale pour les victimes d’agression sexuelle : 1-888-933-9007

Ligne prévention du suicide : 1-866-277-3553.

Vanessa Signature
Mathilda signature

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