J’ai pris le large il y a quelques années, sentant cet appel de la découverte de Nouveaux Mondes. Mon bateau a vogué longtemps, parcourant des mers inconnues, faisant des rencontres et visitant de nouvelles villes pour finalement se poser sur d’autres rivages, bien trop loin de mon port d’attache.
Dans cette nouvelle région du monde, je contemple les eaux et je suis plongée dans mes souvenirs. Je ferme les yeux et doucement, je peux entendre le bruit particulier des vagues se fracassant sur les rochers, près de mes endroits préférés et même sentir les effluves des embruns marins m’effleurer les narines.
Je me vois encore entourée de cette mer intérieure, immense, à perte de vue et d’un bleu brillant. Ma présence devant elle me donne l’impression de me tenir entre ciel et terre. Parfois, mes pieds sentent même la douce caresse du sable. Ma nouvelle contrée me semble si différente et perdue dans mes songes, je sens une vague de nostalgie m’envahir.
Je suis la seule de ma flotte à avoir pris la direction du grand large. Les autres bateaux sont restés près du quai, dans une baie plus au calme afin d’éviter les eaux troubles. Ils ne voulaient pas entamer de trop grands voyages.
Alors que moi, je me suis rendue loin des lieux chers à mon cœur, grisée par l’aventure et les conquêtes. Installée ailleurs, il est trop tard aujourd’hui pour faire demi-tour. Rien n’est plus difficile que de partir loin de son port d’attache, sans possibilité d’y vivre le restant de ses jours.
Il est loin aujourd’hui ce port, témoin de mon enfance, beaucoup trop loin pour que j’y retourne aux moindres soubresauts de mes envies, alors que son appel résonne dans mon cœur continuellement et m’attire à lui indéniablement. Je n’ai maintenant que quelques instants volés au gré du temps alors que je ne peux m’empêcher de parcourir le chemin en sens inverse afin de retrouver trop peu souvent les miens.
Même si quelques mers m’en séparent, cela me donne l’impression d’être à des milliers de miles de ceux que j’aime. Bien que j’aie réussi à trouver une parcelle de bonheur dans mon nouveau pied à terre, il n’y a rien qui ne peut remplacer les territoires que je connais.
Je n’étais pas préparée à ce manque continuel de mes points de repère, à cette recherche d’une partie de mon identité et à faire face à cette incompréhension parfois des autres parce que mes origines, mes racines ainsi que ce qui me distingue et me définit leurs sont inconnus.
Souvent, je sens ce manque peser sur mes épaules et je voudrais, l’espace d’un moment, reprendre la mer afin de retrouver ma terre. Lorsque je ferme les yeux, je me rappelle parfois cette paix indescriptible qui m’envahit quand je suis enfin chez moi.
Cette joie immense de connaître chaque parcelle de terre sur laquelle se posent mes pieds après un long voyage, comme une mère connaissant le moindre petit cri de son enfant. Il me manque ce bonheur d’être dans la maison de mon enfance et de ressentir que je suis à nouveau totalement complète.
Je sais toutefois que malgré le temps que dure mon absence, le phare protégeant les contrées de mon enfance brille sans arrêt dans la nuit, afin que je retrouve à jamais mon chemin vers mon port d’attache. Les mers ne seront jamais assez vastes et trop agitées pour m’empêcher de reprendre cette route. Et quand je dois repartir vers ma nouvelle demeure, je sens qu’une partie de mon cœur reste là-bas, attendant mon retour, bercé par le mouvement des vagues et protégé comme un trésor parmi les miens.