On l’a fréquemment qualifiée de too much.
Quand elle cherchait du réconfort à l’autre bout de la ligne suite à une querelle avec son petit ami, tout ce que ses amies trouvaient à lui dire c’était: « bien là, t’es too much. Respire, va prendre une marche, écoute un film, prends un bain, mais capote pas. Ce n’est pas grave, ça. Pourquoi tu réagis aussi intensément que ça? »
« Je l’ignore. »
« J’le sais pas, moi, pourquoi, j’suis de même. »
Ce sont les mots qu’elle peinait à répéter quand ces commentaires resurgissaient encore.
Et encore.
Et encore de la bouche de son entourage.
Elle est comme un volcan.
Imprévisible.
Intense.
Explosive.
Une fois les mots crachés,
Les vêtements jonchés,
Le coeur battant
Et la bouche en feu…
Elle contemple le désastre qu’elle a créé encore une fois.
Une autre fois.
Une fois de plus.
Peut-être une fois de trop?
Une fois les sentiments déversés sur l’autre, il faut réparer les pots cassés.
Et s’excuser.
Et se pardonner.
Et ne plus se laisser emporter de la sorte.
Mais comment?
Ce sont toutes ces questions tournoyant dans sa tête qui l’empêchent de dormir le soir:
« Suis-je folle? »
« Suis-je réellement too much? »
« Pourquoi je suis différente des autres? »
« Est-ce que j’ai une maladie mentale? »
Son cerveau est constamment en ébullition.
Elle survit grâce à ses mille et un projets :
Ses idées, elle les vend à un prix modique dans une boutique qu’elle possède en ligne.
Son imagination, elle l’écrit sur une feuille de papier.
Sa curiosité, elle l’accentue à travers les pages des nombreux bouquins garnissant sa bibliothèque.
Sa passion, elle la transmet à ses élèves de septembre à juin, à l’école ou en ligne.
« Je disais justement que tu avais eu une bonne semaine! Parle-toi! J’le sais que tu es capable! »
Ce n’est pas normal qu’on la félicite hebdomadairement parce que les sept derniers jours se sont écoulés sans drame.
C’est ce qu’elle a tenté d’éclaircir avec sa mère, mais l’amour d’une mère est bien plus puissant que les états d’âme de son enfant, hein!
De son seul enfant.
De son enfant unique!
« Ça serait plate que tu gâches ta belle semaine pour une niaiserie comme ça, hein? »
Une niaiserie comme ça.
Ouais…
Pourquoi à ses yeux à elle, ce n’était pas anodin?
Par moment, son cerveau fonctionne différemment.
Tout tourne trop vite autour d’elle.
Vous savez, le grand manitou au parc d’attractions?
C’est la vitesse à laquelle ses neurones fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
Elle prend souvent la parole trop rapidement.
De là à couper les autres interlocuteurs parfois.
Toutefois, ce n’est pas pour être impolie.
Non.
C’est parce qu’elle a peur d’oublier ses pensées.
Son fil d’Ariane.
Elle lie tout avec rien.
Une pensée en arborescence : c’est ce qui définit son mode de raisonnement.
« Il me que semble ta vie a l’air compliquée pour rien, non? »
« Tu cherches des bibittes où il n’y en a pas! »
Ce sont toutes des phrases qu’elle a l’habitude d’entendre.
D’entendre.
Et d’entendre encore à répétition.
Elle sait très bien qu’elle ne se confond pas dans le moule de la société.
Elle angoisse d’être angoissée.
Elle assimile les nouvelles notions rapidement.
Très rapidement.
Trop rapidement.
Tellement rapidement qu’elle trouve le temps de magasiner en ligne, de rédiger deux, trois courriels et de répondre à sa mère que oui, elle souhaite avoir un sandwich au jambon dans son lunch.
« Non, je ne veux pas de salade, maman. »
Et tout ça, à la fois de porter attention à son enseignante qui lui apprend comment être une bonne prof tout en ne respectant pas ses propres conseils :
Son enseignante lui dit qu’il faut captiver l’attention de ses étudiants dès leur arrivée en classe, être bien nantie, posséder une gestion de classe impeccable et être explicite…
« Fais ce que je dis, mais pas ce que je fais, hein » pensa-t-elle.
Se faire dicter comment parler et agir par quelqu’un qui ne suit même pas ses propres instructions, ça n’a pas de sens pour elle.
Tout ce qui est dénué de logique,
Ou impossible à visualiser,
Pour elle, ce sera inatteignable, impossible, insignifiant.
Afin d’atteindre un but,
De remplir un devoir,
Une valeur doit être associée à la tâche.
Sinon, un grand manque d’intérêt se pointera le bout du nez et quand elle trouve le tout insolite, il n’y a rien à faire :
Vous l’avez perdue.
Elle est comme une montagne-russe :
Très captivée.
Ou très indifférente.
Ses sentiments impliqués laissent croire à un manque de nuance.
C’est noir ou blanc.
Elle est super heureuse,
Ou elle est super triste.
Quand, à vrai dire, sa faculté de moduler est efficace lors de résolution de conflits dans le milieu de l’éducation ou quand vient le temps de dissocier l’acceptable de l’inacceptable dans ses relations personnelles.
Cependant, elle est une personne très émotive.
Ceci dit, sa sensibilité la dicte presque dans tout et partout.
Et pour elle, des mots, ça peut la remonter,
Mais ça peut l’anéantir aussi.
Des mots crachés froidement, violemment au visage, ça blesse autant, voire plus, qu’une couple de claques sur la gueule.
Une main, ça reste estampée quelques jours, une semaine tout au plus.
Ça enfle.
Ça rougit.
Ça pâlit.
Ça dégonfle.
Des mots?
Ça reste un long, long, long moment!
Ça a le temps de se frayer un chemin jusque dans sa tête.
Puis de se rendre à son cerveau.
Et à se faufiler jusqu’à son p’tit cœur frêle.
Et l’écraser.
Paf!
Tel un verre en vitre qui vient de s’éclater au sol (t’sais les verres qui coûtent le prix de la tête dans les magasins les plus huppés de la ville).
Vlam!
Ça a le pouvoir de la faire douter de soi-même, des mots.
Et ce, n’importe quand.
Il s’agit juste que quelqu’un les prononce:
« Tu as clairement un problème. »
Le pire, dans tout ça, c’est que c’est la vérité:
Elle a un problème.
Pas juste un à vrai dire…
Cependant, se le faire rappeler à la place de se faire féliciter de tous les efforts et des démarches entrepris depuis les dernières années, ça la fait virevolter en arrière d’un coup.
Même pas le temps de respirer après la première chiennerie qu’une deuxième la rattrape au galop:
« Continue de même et tu vas finir par te croire. »
« Je suis folle », qu’elle se dit.
Elle le sait que c’est un demi-mensonge.
« Pis ton bonheur dans tout ça? »
Chaque individu qui la questionne en employant le mot « bonheur » la rend confuse.
« C’est quoi, ça, le bonheur? »
Elle est bien.
Elle est contente.
Elle n’est pas inconfortable.
Heureuse?
Elle n’a pas le bonheur facile et elle sait.
Et sa mère aussi.
« Je ne me souviens pas de la dernière fois que je t’ai vue heureuse. Pas contente là. J’veux dire heureuse heureuse. »
Heureuse heureuse?
Il y a plusieurs degrés à être heureuse?
Elle n’éprouve pas le bien-être aisément.
Ou, du moins, pas aussi simplement que les autres.
Les milliers de points d’interrogation flottant sans cesse dans sa tête compliquent sa capacité à apprécier les petites choses de la vie.
Néanmoins, elle s’efforce tous les jours de rester positive,
À voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.
« Il n’y a pas de médicament pour ça? »
« Non, tu vas devoir apprendre à gérer tes émotions, à les accueillir et à les accepter. »
C’est en souriant du coin des lèvres et avec ses yeux que sa thérapeute lui avait annoncé qu’elle n’était pas bipolaire.
Ni borderline.
Et encore moins folle.
Elle est un zèbre.
Elle se conforme aux autres en s’adaptant à eux.
Elle apporte un soin particulier aux gens qu’elle affectionne énormément.
Chaque zèbre se ressemble, mais se différencie grâce à leurs rayures,
Tout comme les humains qui s’identifie grâce à leur empreinte digitale.
Elle est si pareille aux autres, mais si différente en même temps.
Elle est un zèbre.
Non seulement parce qu’elle est n’est pas conforme,
Mais parce que personne ne peut réellement l’apprivoiser,
Ou la comprendre.
La comprendre entièrement.