gêne

Entre gêne et peur du ridicule

La gêne et moi, on se connaît depuis longtemps. C’est une coloc un peu étrange : parfois discrète, parfois envahissante, mais toujours là, quelque part dans le décor. Elle se cache derrière mon épaule quand je dois faire un appel ou quand quelqu’un me pose une question spontanément. Mais étrangement, dans certaines situations, elle semble carrément disparaître, comme si elle prenait un congé sans solde.

Et le plus ironique dans tout ça? Je peux être complètement à l’aise dans une salle remplie d’inconnus, aller vers les gens, jaser comme si on se connaissait depuis toujours.

C’est ça, la gêne. Une émotion qui n’a pas toujours de logique. Elle ne se présente pas quand on la prévoit, elle choisit ses moments, souvent les plus absurdes.

Pendant longtemps, j’ai cru que j’étais simplement une personne gênée. Mais plus j’y pense, plus je me rends compte que ce que j’appelle “gêne”, c’est souvent autre chose. Une peur déguisée. La peur du ridicule. La peur du rejet. Cette petite voix dans ma tête qui murmure : Et si tu dis quelque chose de bizarre? Et si tu déranges? Et si on ne t’aime pas autant que tu le voudrais?

Quand j’y pense, la vraie gêne est douce. Timide, oui, mais sincère. Elle vient du cœur. C’est un frisson avant d’oser. Une retenue qui protège un peu.
Mais la peur du ridicule, elle, est plus lourde. Elle enferme. Elle fait taire. Elle me donne envie de me fondre dans le décor. Et souvent, je les confonds. Je pense que je suis gênée, alors qu’en réalité, j’ai juste peur de ne pas être à la hauteur.

C’est un paradoxe que je vis souvent : j’ai peur de parler devant une foule, mais j’aime profondément ce moment où tous les regards se tournent vers moi. Ce mélange de trac et d’adrénaline, de vulnérabilité et de fierté. Comme si chaque mot prononcé était une petite victoire contre la peur de me montrer telle que je suis.

La gêne, c’est un peu une boussole. Elle pointe vers ce qui compte vraiment pour moi. Ce que je veux bien faire. Ce que je ne veux pas rater. Alors que la peur du ridicule, elle, essaie juste de me faire reculer, de me protéger d’un jugement qui, bien souvent, n’existe que dans ma tête.

Je pense que la différence entre les deux, c’est la bienveillance. Quand je me parle avec douceur, quand je me donne le droit d’être maladroite, la gêne devient une alliée. Elle me garde vraie, présente, humaine. Mais quand je me juge, quand j’anticipe ce que les autres pourraient penser, elle se transforme en peur paralysante.

Alors oui, j’ai encore des moments où je fige, où je rougis, où je me sens trop consciente de moi-même. Mais j’apprends à écouter ce que cette gêne-là essaie de me dire.
Parce qu’au fond, elle ne me retient pas : elle me rappelle juste que j’ai quelque chose à perdre, donc quelque chose qui compte.

Et entre la peur d’être vue et le besoin d’exister pour vrai, je me dis que c’est peut-être là, exactement là, que je suis le plus vivante.

Jennifer signature