Folie Urbaine Amour fraternel ecorche

L’amour fraternel écorché

Cher petit frère,

Petite, j’ai accueilli ta présence dans ma vie comme une petite fille qui reçoit une nouvelle poupée avec laquelle elle peut jouer.

Je n’avais pas tellement mon mot à dire, nos parents voulaient 4 enfants. Après seulement deux ans et demi avec moi, ils ont décidé de t’intégrer à notre noyau familial en t’accueillant avec le même engouement et le même amour que moi lorsque je suis arrivée. C’est à ce moment qu’est entré dans ma vie l’amour fraternel.

On a tout vécu pareil.

Les mêmes repas, les mêmes vacances, les mêmes vitamines Flintstones que l’on cachait dans les craques du sofa, les mêmes films au cinéma, les mêmes baignades dans la piscine quand on avait la permission de sauter la douche et d’aller juste « se saucer » avant d’aller se coucher. Les mêmes camps de jour où on se battait pour ne pas traîner la boîte à lunch commune de Ninja Turtles que maman nous avait achetée, parce que c’était cool juste dans notre sous-sol de dire qu’on aimait le film. Les mêmes gardiennes qui te chicanaient, parce que tu faisais des mauvais coups pis qui me chicanaient aussi, parce que je te couvrais tant bien que mal. Les mêmes voisins avec qui jouer, surtout celui pour qui on a pleuré quand il est déménagé (Allô Guillaume !). On a fréquenté les mêmes parcs et les mêmes arénas, toi comme joueur, moi comme spectatrice. Tu enfilais les buts plus vite que je m’enfilais les slushs, et je passais pour la petite sœur nerd et inactive, parce que je préférais parfois me plonger dans mes romans que de tourner ma crécelle pour t’encourager. On a fréquenté les mêmes bars, parce que je trouvais dont tes amis cutes, pis que tu trouvais les miennes pas pires aussi.

C’est après que tout a changé.

Quand j’ai cessé de vouloir être ton ombre et que j’ai voulu goûter à la lumière à mon tour. Oh, je n’étais pas complètement dans la noirceur, j’ai eu mes petits moments sous le spotlight moi aussi. Je mentirais si je disais que j’ai manqué d’attention. C’était juste une attention différente, plus nuancée, mes parents diraient certainement que c’était la même ou que j’en avais moins besoin, puisque je me contentais de peu pour être heureuse. Et c’était vrai. J’étais entourée de ma famille, j’avais mes livres, ma musique, ma chambre pour moi toute seule et pas d’angoisse de performance, contrairement à toi qui rêvait d’être un athlète professionnel.

Tout a changé quand j’ai décidé que je voulais exister, moi aussi. Quand je me suis dit que j’allais être juste moi et pas que la sœur de… J’avais le goût d’apprendre à me connaître, d’exploiter mes forces (si j’en avais) et de voir si j’étais capable de me débrouiller sans mes parents pour me protéger. J’ai voulu tout bâtir moi-même, ma carrière, mon couple, ma famille avec mon enfant et ne dépendre de personne. J’ai voulu montrer à tout le monde que la fille gênée qui n’osait pas prendre de place, parce qu’elle n’avait pas confiance en elle était capable d’obtenir ce qu’elle veut si elle y met les efforts.

Et on a pris des chemins différents.

J’ai même l’impression qu’on vit maintenant sur deux planètes différentes, nos parents faisant office de Soleil et de Lune entre nous deux, et qu’il est impossible de vivre dans le même système solaire, puisque nous ne respirons pas le même air. Des années difficiles, des choix de vie différents et des blessures trop profondes pour guérir rendent le tout très difficile maintenant.

Mais tu restes mon petit frère, celui à qui je disais souvent quand on était jeune que je préférais embrasser un serpent plutôt que de lui donner un bec. Celui qui m’a menti, qui m’a déçue, mais quand même le seul et unique que j’ai.

Pis quelque part, ça me fait mal de nous voir rendus aussi loin l’un de l’autre, mais ça me fait aussi du bien d’exister.

Ta sœur.

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