L'attente

L’attente

Déjà deux mois que la première session d’université était commencée. Je m’étais rapidement habituée au rythme acharné de celle-ci. Enfin, je n’avais pas vraiment eu le choix. Je m’étais fait plusieurs nouveaux amis et on s’entraidait pour pratiquement tous les travaux qu’on avait à remettre. Un de mes nouveaux amis avait attiré mon attention dès la première journée d’école. Il avait cette attitude détachée qui m’avait toujours attirée pour je ne sais quelle raison. À la fin de notre premier cours, on avait eu le temps d’échanger un peu en marchant vers nos appartements. À ce moment précis, je sus qu’il y aurait une certaine histoire entre nous. Je ne savais pas pourquoi, ni comment, ni quand, mais c’est ce que mon intuition me dictait.

Étant tous deux passionnés de  littérature et de cinéma, notre complicité s’était développée assez rapidement. Peu de temps après le début des classes, peut-être deux ou trois semaines après, on se voyait fréquemment en dehors de nos cours. Soit chez moi, soit chez lui. On essayait de se concentrer sur nos travaux du mieux qu’on le pouvait, mais on s’entendait si bien qu’il était trop facile de se mettre à déconner. On riait tellement ensemble que j’avais des abdominaux de trois mois de gym intensif. Nos amis ne savaient pas qu’on se voyait à l’extérieur de l’école. Ce que je ressentais pour lui s’intensifiait. Et je savais que c’était réciproque. On partageait cette nouvelle connexion sans toutefois qu’il y ait de rapprochements entre nous. Il n’avait pas fait le pas pour nous sortir de la zone d’amitié. Et moi non plus. On prenait notre temps, patiemment, ou impatiemment.

Plus j’apprenais à le connaître, plus mes sentiments se renforçaient. De mes vingt ans, c’était la première fois que ce que j’éprouvais était aussi fort pour une personne que je connaissais depuis si peu. Je n’avais jamais vraiment eu d’amoureux. J’avais espoir que ce soit enfin lui, que le jour que j’attendais depuis toujours soit enfin arrivé. Je nous imaginais déjà aller au cinéma et au restaurant, se promener dans la métropole main dans la main, s’échanger des vêtements, s’endormir enlacés, se couvrir de gestes tendres et de baisers… Je pensais même au moment où je lui ferais visiter mon village natal, mon petit coin de pays, où je le présenterais à mes parents et mes amis. Mes amis qui avaient, pour la plupart, tous déjà vécu leur premier amour. J’attendais ce moment avec impatience.

J’acceptais déjà tous ses petits défauts. J’attendais seulement «le bon», comme mes proches me répétaient continuellement. Dans mes rêves, je revoyais ses sourires charmants, ses yeux qui s’illuminaient quand il les posait sur moi et ses petites fossettes qui se creusaient dans ses joues. Tout cela même si, à ce jour, tout était amical entre nous. Il y avait cette espèce de tension secrète qu’on enterrait et qu’on n’osait pas exploiter. J’avais hâte qu’un de nous fasse le premier geste qui changerait tout. Celui qui me permettrait enfin d’extérioriser toutes ces émotions qui se bousculaient en moi, toutes ces caresses que je m’imaginais poser sur son corps, tous ces mots qui s’arrêtaient à ma bouche et tous ces baisers que je retenais, les dents serrées. Au moment où toutes ces pensées s’entrechoquaient dans ma tête, la sonnette retentit.

Je me levai d’un bond de mon lit. C’était lui. Je l’attendais pour visionner un film, toujours dans le cadre d’un de nos cours. De la sonnerie au moment où il entra dans mon appartement, mon pouls s’accéléra. On se dévisagea un instant, puis, on s’installa confortablement sur mon lit. Côte à côte, sans plus. Mon ordinateur portable partagé sur chacune de nos jambes. Silencieux, immobiles, figés par l’idée que l’autre fasse le moindre mouvement qui nous sortirait de cette incertitude. Hâtifs? Impatients? Probablement. Mais toute la durée du long-métrage, ni lui ni moi ne fîmes le moindre mouvement. Plus les minutes s’écoulaient, plus mes mains devenaient moites. Plus nos corps se rapprochaient et se compressaient, plus la gravité nous fusionna. Son parfum se faufilait maintenant jusqu’à mes narines sans toutefois que je puisse y goûter. Pas encore. Mais quand?

Je fis glisser le pointeur sur mon écran pour découvrir qu’il ne restait que quelques minutes au film. L’histoire s’approchait dangereusement de la fin. Ma respiration devenait de plus en plus rapide et je pouvais entendre la sienne qui était tout aussi saccadée. Comme si l’écran noir qui apparaitrait bientôt nous mettait de la pression; une menace pour anéantir cette barrière tenace entre nos corps soudés. Je n’en pouvais plus. Après ces deux heures interminables, mes jambes et mes bras commençaient à s’engourdir. Le feu entre mes jambes me brûlait de l’intérieur. Nos regards complices me faisaient espérer qu’un de nous deux prenne son courage à deux mains. Puis, l’écran s’assombrit.

Je tournai lentement la tête vers lui. Il m’observait déjà. Dans la noirceur qui nous entourait, je pus distinguer son regard perçant. Mon cœur s’agita. Son bras s’approchait de moi, ses doigts grimpèrent doucement sur ma main. Nos doigts se serrèrent aussitôt. Cette simple étreinte me donna de l’espoir, mais elle me fit surtout peur. Qu’allait-il faire par la suite? Ma main se détacha de la sienne et sa bouche s’approcha progressivement de la mienne, mais à un rythme si lent que ça me rendait folle. Ses yeux semblaient me demander la permission. Alors, je fermai les miens telle une barrière, et j’attendis. Je sentis son souffle sur mon visage puis, plus rien. Il ne respirait plus, comme pour ne pas briser le silence qui nous entourait. J’entendis le froissement des couvertures puis, des pas. J’ouvris les yeux et le vis sortir de ma chambre sans me regarder. Je restai muette et l’entendis mettre ses souliers, enfiler son manteau et claquer la porte derrière lui.

Annabelle signature
Sophia réviseure signature

One Comment

  • Jasmin M

    Le texte est bien écrit encore.
    Bravo aux réviseuses aussi 🙂

    J’ai ressenti de la froideur en lisant ceci :
    ‘J’entendis le froissement des couvertures puis, des pas. J’ouvris les yeux et le vis sortir de ma chambre sans me regarder.’
    Aucun moment complice! Que distanciation!

    Tout est si complexe dans ‘la société d’aujourd’hui’!
    C’est à croire que le reél et l’imaginaire refusent de faire un, en amour.
    Qui sait, un jour le verbe aimer remplacera l’expression : la croix et la bannière.

    Ciel! Pourtant l’amour est un don!!!

    Bonne continuation!

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