Debout, je me tiens droite. Je suis au centre de la cafétéria. Mes amis sont autour de moi et discutent entre eux. Une vague dramatique m’engloutit. Rien ne sort de ma bouche ; le courant est lent, les mots sont morts. Le flot de leurs paroles me berce dans un état second et la conversation devient progressivement inaudible. Les mots s’effacent pour laisser place à un bourdonnement. Comme une ancre, je coule. Ma tête chavire lentement et mon regard s’accroche à mes pieds. Je les fixe jusqu’à ce que le noir de mes semelles se répande sur le plancher, les murs et le plafond. Le liquide funèbre submerge mes proches et les enfouit dans le sol. Ma vue se noie, mes oreilles se bouchent, mon cœur se pince. Ce sentiment qui me colle à la peau prend toute la place. Mon cœur saigne. Je suis seule, si seule. Les murs se referment sur moi, je peine à lever les bras. Je suis dans un minuscule cube d’ébène et je ne vois pas plus loin que le bout de mes doigts. Ni la sortie, ni l’entrée ne me sont connus ; je ne sais pas ce qui m’arrive, mais pourtant, j’ai une impression de déjà-vu. Malgré le vide autour de moi, je sens sur moi une pression énorme. L’air s’impose, me compresse et me réduit. Je suis démunie, incomplète, isolée. Je me souviens d’une chose et ça me frappe violemment. Mon corps se projette contre un des murs, l’air sort de mes poumons comme on fuirait la peste. La réponse que je cherche depuis mon premier souffle m’apparaît dans cet endroit minuscule. Cette boîte, cette solitude, elle a beau être toute petite, mais maintenant, elle prend toute la place. Elle me semble ravageuse, mais elle a été présente tout au long de ma vie. Je suis seule, recroquevillée et coincée dans une enveloppe corporelle qui ne me sert que de passage ; je suis dans la même position qu’avant de naître. L’espace restreint ne change rien, c’est ce sentiment qui me retient. J’ai beau être entourée de personnes exceptionnelles que je retombe constamment dans ce gouffre. Je me suis formée seule, je suis née seule, et je mourrai seule. La vie n’est que le chemin vers la mort, un jour ou l’autre. J’ai le choix de mener un parcours bas, un parcours neutre, un parcours admirable. Mais cette claustration m’enlève la force de m’agripper à ce dernier choix. Mes yeux sont bandés et mes pieds s’enfargent dans les énormes cratères de la route. En quittant mon cocon intérieur, je me transposerais dans un monde meilleur. Mais c’est au plus profond de moi que le chemin me semble distinct. J’y vois l’itinéraire le plus précis, le plus raisonnable, le plus valorisant. Et si mon cœur saigne aujourd’hui, c’est parce que quelqu’un a su déjouer mon intuition, jouer avec mes émotions et diverger les rails de mon petit train de vie. Je me suis laissée guider par sa voix et c’est ainsi que je me suis retrouvée ici, ancrée dans mon fort intérieur. Mais j’ai réalisé que malgré la divergence de nos trajets, quelque chose nous rejoindra au bout de la ligne. Nos trajets se sont entrecroisés et emboîtés à certains moments, l’amour a tissé des liens entre nos corps et nous a rendus plus forts ; de vrais warriors contre le monde entier. Mais nos wagons se sont détachés et ont empruntés une route différente. Nous nous sommes retrouvés au point de départ : seuls, faibles et impuissants. Mais il reste que, au final, notre destination est commune. C’est de cette manière que j’arrive à voir plus clairement, que les murs sombres s’envolent, que les visages familiers réapparaissent, que mes sensations vitales reviennent et que d’un simple soupir, je revis.
One Comment
Jasmin M
Le texte est de Bonne Qualité!
Il y a un côté lugubre qui me pousse à écrire ceci : La lumière luit dans les ténèbres.