Jennifer parle des éducatrices à bout

À toi, l’éducatrice à bout de souffle.

À toi, Jen… et toutes les autres.

Au tout début, tu arrivais au travail la tête remplie d’idées, une place immense dans ton cœur pour y caser l’amour de 8, 10, 16 enfants, des cartables remplis de chansons, de matériel éducatif et de collants multicolores. Prête à conquérir les parents et les petits chérubins qui composeraient ton quotidien.

Tu ne rechignais pas devant l’ampleur de la tâche qui t’attendait tous les jours, des étoiles brillaient dans tes yeux après l’exécution du bricolage que tu avais si bien planifié après avoir épluché Éducatout, le seul site disponible pour t’aider dans ta créativité avant l’arrivée de Pinterest.

Tu ne t’en faisais pas avec ton petit rhume qui s’étirait sur quelques jours, après tout, tu n’as pas vraiment été malade depuis tes 12 ans. La première gastro que tu as attrapée après avoir ramassé du vomi ne suffisait pas à te décourager dans ton choix de carrière. Ce n’est pas plaisant, certes, mais on n’en meure pas, tu te disais. Ce n’est qu’un léger désavantage.

Tu ne te sentais pas mal si un enfant arrivait avec sa doudou sous le bras, le regard un peu fiévreux et les joues rouges. Tu croyais la maman qui te disait qu’il faisait simplement des dents et que la nuit avait été difficile. Tu l’entourais d’amour et lui procurais du réconfort, convaincue d’avoir les pouvoirs magiques nécessaires pour effacer son petit chagrin matinal et les effets néfastes d’une nuit écourtée. Des fois, ça marchait. Pour vrai.

Tu ne t’en faisais pas trop à propos de ton salaire. Après tout, c’est quand même mieux que le salaire minimum et t’as tes soirées et tes fins de semaine de libres. Tu faisais même partie des chanceuses qui ont un fonds de pension, un privilège encore refusé à certaines éducatrices et à de nombreux milieux de travail. T’avais même une assurance. Pas celle des travailleurs de la construction, mais tout de même. Ça paraissait bien de dire que t’as des assurances et un fonds de pension. Pour plusieurs, ça veut dire que t’as une bonne job.

Maintenant, c’est plus difficile pour toi.

Ton cœur est encore grand. Il le faut pour arriver à y caser les nombreux enfants dont tu as la responsabilité chaque jour. Tu t’émerveilles encore devant leurs progrès. Parce que tu sais que tu y es pour quelque chose. Et ça, c’est toujours aussi gratifiant malgré les années qui passent. T’es juste un peu moins motivée à gagner une place dans leur cœur. Même si tu sais que tu passes avec eux plus de temps que leurs propres parents et qu’inévitablement, ils feront une place pour toi dans leur petit cœur.

Tu ne les aimes pas moins, tu prends juste moins de temps pour en prendre conscience.

Mais tu arrives un peu moins préparée. T’aimes encore beaucoup Noël, mais après plusieurs années à bricoler des sapins et des guirlandes, tu commences à trouver ça redondant d’en refaire année après année, même si Pinterest t’aide à démontrer que t’es encore une éducatrice créative et remplie d’idées. Les parents n’y voient que du feu. Leurs enfants ont manipulé de la colle et des ciseaux. Ils sont contents. Ils ne savent pas qu’avant, tu aurais ajouté des brillants. Et que cette fois-ci, ça se peut que tu n’aies même pas pensé à les sortir de l’armoire. Tout comme les collants.

Tu sais maintenant que des yeux qui coulent facilement, qu’un enfant qui se colle plus qu’à l’habitude et qui ne mange pas cache plus qu’un problème de dents. Tu le repères assez facilement celui qui a eu du Tylenol avant d’arriver dans le but de camoufler la petite fièvre qui menace la journée du parent qui doit absolument aller travailler. Tu le repères vite parce que tu sais qu’à la fin de la semaine, c’est toi qui devras faire des provisions de mouchoirs et passer ta fin de semaine au lit.

Tu ne crois plus le parent qui t’a dit qu’il a eu une indigestion parce qu’il a vomi JUSTE UNE FOIS. Je les comprends d’être optimistes, je voudrais l’être si l’ombre d’un nuage de gastro se pointait chez moi. Moi aussi, j’aimerais ça penser que c’est juste passager et que les arcs-en-ciel ont juste pris un break. Mais c’est rarement le cas. Je vais sûrement devoir le rappeler dans quelques heures pour lui dire que mes prévisions étaient exactes. Mais je les comprends d’avoir voulu s’essayer. Ou plutôt je les comprenais au début. Rendue à la 5e gastro attrapée en moins de 5 ans, j’ai cessé d’être compréhensive. Surtout quand je me suis rendu compte que ce n’est pas juste un parent qui s’essaie.

Il y en a beaucoup plus.

Ton salaire n’a pas beaucoup augmenté, c’est normal le gouvernement pense encore que tu te contentes de garder des enfants. Que l’éducation n’est pas une priorité, sauf en période électorale. T’as beau gagner plus que certains, quand tu lis que tu pourrais faire le même salaire en travaillant la moitié moins d’heures en vendant du vin, c’est un peu fâchant. Mais bon, je sais qu’il ne faut pas se comparer avec eux. Ils travaillent les jours fériés, eux. Tu reçois tes papiers de régime de retraite avec un peu moins de reconnaissance quand tu réalises que ta retraite est encore très loin et que tu te demandes si tes économies seront suffisantes par rapport à l’augmentation du coût de la vie. Il y a des jours où tu te demandes si tu ne devrais pas trouver quelque chose les fins de semaine pour arrondir tes fins de mois, te gâter plus ou te prendre des REER. Mais quand tu penses à tes vendredis où tu arrives brûlée, grippée ou avec la gastro, tu te demandes si c’est vraiment la solution.

C’est certain qu’il y en aura pour te dire que tu n’as qu’à changer de job si tu n’es pas contente. D’autres te donneront une petite tape dans le dos et te diront que ton travail est essentiel à l’avenir de nos enfants et qu’ils admirent tout ce que tu fais pour exceller dans ton travail. Certains te diront qu’il n’est pas trop tard pour changer de vie et que toute l’expérience acquise pourrait être bénéfique dans un autre domaine si jamais tu décides de partir.

Moi, je te dis juste de ne pas lâcher. De continuer à prendre soin de toi et de t’interroger réellement sur ce que tu veux et ce que cette vocation (oui, éducatrice, c’est une vocation) peut encore t’apporter.

Prends ton temps.

Des enfants qui ont besoin de toi, il y en aura toujours.

Et si ce n’est plus toi, ce sera une autre qui le fera.

Avec des brillants et des collants. Les siens, et ceux que tu lui auras laissés dans ton armoire.

Photo de signature pour Jennifer Martin.   

23 Comments

  • france arsenault

    Bravo! Bravo! Excellent texte tres touchant je suis émue je suis éducatrice depuis 25 ans et pour moi c est encore le plus beau métier du monde, car je me sent tres reconnaissante par rapport aux enfanrs ils me nourrissent a tous les jours.

  • Martine

    Je suis éducatrice depuis 17 ans…. et tout est tellement parfait dans cette publication 😢j’en ai les larmes aux yeux! Maman de trois enfants, incapable de les faire garder j’ai choisi cette vocation à mon premier né, retourné sur les bancs d’école pour être LA meilleure, et se rendre compte que la meilleure école est jour après jour avec eux…. 🤘

  • Audrey Quessy

    J’ai l’impression que vous parler de ce que je vis en ce moment après 20 ans dans ce domaine que j’adorais, je dois aller voir ailleurs car cette passion est j’ai l’impression éteinte. Mais quand je me retrouve avec eux ce n’est que du bonheur quand je ne pense pas au gouvernement, aux directrices avec des exigences et un manque de compréhension et au manque de reconnaissance, du fait que encore après 20 ans on se bat pour se faire appeler éducatrice et non monitrice, gardienne ou autres et au salaire qui n’est pas invitant. Mon coeur est gros en ce moment, un cumul des années même si j’essai de mettre le positif.
    Merci pour ce beau mot

  • Nathalie

    Jài 27 ans de métier et ce texte traduit très bien ma situation….c’est difficile d’abandonner le sentier battu et de se lancer à l’aventure car parfois oui on se sent fade, moins créative et surtout moins naïve … Fatiguée, oui , mais comment laisser sa zone de confort quand ton c.v. Ne compte que ça comme expérience de travail …pas facile…

  • Marie eve

    Wowwww….je suis en période de réflexion depuis quelque temps et votre texte me chavire tellement… éducatrice en installation depuis 12 ans…
    Wowww je lie et relie….

  • Martine

    Bonjour Audrey

    Je suis éducatrice /directrice dans un Centre éducatif en Ontario. Je te comprend à 100%. Effectivement le ministère de l’éducation à bcp d’exigences mais il ne faut pas oublier que nous travaillons avec des enfants, ils sont vulnérables et ils doivent être protéger par tout ces lois. Même si je te connais pas, je t’encourage à rester avec tes touts-petit et continuer à faire une différence dans leur vie. 💕

  • Nicole

    MERCI le texte est très vérédicte. Je suis en remise en question ….a bout de souffle ….
    Je ne sais pas vers ou me tourné. la lettre me fait pleuré, il y a beaucoup d émotion en moi. Part contre j’aime a l’ infinie les enfants, ils sont vraiment extraordinaire . C’ est un petit monde magique et unique .

  • Sylvie

    Un monde pas toujours évident et haut combien enrichissant. Tu y travaille avec coeur, enthousiasme, bonheur, énergie, etc… Tu y donne du temps même lorsque ton quart de travail est terminé, tu ne pourrais laisser en plan le parent qui vient d’arriver avec plusieurs questionnements et tu quittes après 10, 15, 20 et parfois 30 minutes après la fin de ta journée avec la satisfaction d’avoir vu un parent quitter avec des réponses qui l’on sécurisé. Ensuite, tu fonces pour aller toi aussi retrouver ta famille et continuer ta journée. À vous toutes et tous qui aimé avec passion votre métier, je vous dis de continuer et toutes celles et ceux qui ont perdu la flamme , prenez un temps de réflexion pour sentir au plus profond de votre coeur si vous êtes encore au bon endroit. Les enfants et vous avez droit a du temps de qualité, alors, prenez vous en main et faîtes leurs ou faîtes vous le plus beau des cadeaux, celui d’être heureux. 🤗

  • Mj

    Je ne suis pas éducatrice. Je suis maman. Chaque jour que j’amène mes 2 trésors à la garderie, je m’efforce de leur rappeler que je les y amène pour aller JOUER avec Mlle (prénom de l’Éducatrice) et les amis et non pas pour aller à la GARDERIE. Parce que pour moi, c’est ce choix que je fais chaque jour: les y amener pour tous les avantages qu’elles y gagnent: socialiser, apprendre de nouvelles façons de voir la vie… BRICOLER mieux que je sais le faire… et pas seulement pour SE FAIRE GARDER… Je les y amènerais même si je ne travaillais pas, mais moins souvent… Chaque jour, j’essaie de faire sentir à Mlle combien elle est IMPORTANTE pour mes enfants et moi, combien j’apprécie sa présence dans nos vies et chaque soir je lui dis MERCI pour TOUT ce que je sais (ou souvent pas autant) qu’elle a fait seconde après seconde avec mon enfant. Je lui souhaite bonne soirée ou bon weekend ou bon congé, parce que je sais qu’elle a une vie en dehors de nous et je lui souhaite de bien en profiter. J’espère simplement faire une différence dans sa vie, parce que je sais que son travail n’est pas reconnu Ép- à la hauteur de qu’il représente VÉRITABLEMENT pour notre société. Et que si je le pouvais, j’aimerais garder mes enfants avec moi une petite journée de plus et qu’en échange, elle soit payée un peu plus…. MERCI MERCI MERCI à chacune des secondes que vous offrez, elles comptent pour moi et surement pour plusieurs autres parents 😉

  • folieurbaine

    Merci c’est vraiment très apprécié! Et oui être avec ses enfants est ce qu’on peut leur offrir de mieux!

  • folieurbaine

    C’est tellement vrai! Merci d’avoir pris le temps de m’écrire, ça me touche beaucoup!

  • folieurbaine

    Je comprends à quel point c’est difficile de se remettre en question, la vie va tellement vite qu’on veut être certaines de faire les bons choix et de ne pas passer à côté de celle-ci. Merci pour votre commentaire!

  • folieurbaine

    Merci et re merci encore une fois! C’est vraiment rassurant de savoir que l’on est pas seule dans cette situation.

  • folieurbaine

    Oui effectivement mon c.v est plutôt dégarnie de mon côté aussi, mais je sais que j’ai quand même acquis plusieurs compétences, peut-être qu’un jour elle seront mises à profit dans un autre domaine. Merci pour ce commentaire!

  • folieurbaine

    Merci pour les encouragements, c’est vraiment gentil! En effet, il faut penser au bonheur des enfants 🙂

  • folieurbaine

    Merci pour les beaux mots aussi! Je sais que ce n’est pas une profession facile, mais elle vaut parfois la peine qu’on se retrousse les manches et qu’on tente de continuer à faire une différence dans leur vie!

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