Pieds nus, dans le sable, je marche depuis longtemps.
En fait, je sais marcher depuis au moins mes deux ans, mais cette plage, cette île déserte, je ne la visite pas depuis toujours. Elle vient me voir, dans la nuit, lorsque mes yeux sont fermés et que ma conscience est troublée. Cette plage est un peu comme la fée des dents, sauf que son cadeau est beaucoup plus emballant qu’une pièce de deux dollars.
Et la nuit dernière, elle m’a ouvert les yeux, littéralement.
Comme toutes les autres fois où elle vient me rendre visite, je me promène le long de la plage, regardant au large. Mes pas suivent la cadence des vagues et mon corps se balance sur le sable instable; les pieds au sec. L’air est chaud et le ciel est bleu, taché d’oiseaux. Le soleil reflète sur l’océan, miroir traversé de pélicans.
Quelque chose brille dans l’eau.
J’avance doucement et sens la froideur; la grandeur de l’océan, le risque de mon aventure. Émerveillée, je découvre toutes sortes d’enchantements qui se cachent sous les eaux, qui défilent sous mes pieds; à portée de main. Entre les vagues et l’écume, des gros et des petits coquillages; des blancs, des rosés, quelques-uns qui suivent le courant et d’autres qui s’enfoncent dans les profondeurs de l’océan. Des ombres qui bougent ici et là entre les roches, les anémones, les algues;
une espèce de blague. Rien qui brille en vérité; je suis piégée.
J’attends, un bon moment. J’attends que les vagues changent les choses en profondeur, qu’elles déterrent cette petite étincelle. Je suis la trace humide sur le sable, le visage implacable. Dans la transparence du bleu se trouve un coquillage pas trop blanc, pas trop rose, pas trop petit, pas trop gros, qui bouge un peu, mais qui reste au même endroit malgré les vagues.
Je le vois, c’est lui: il est parfait à mes yeux.
Une vague approche et je me dépêche d’aller le cueillir. Mes doigts frôlent la coquille, mais l’eau glisse entre mes doigts et j’en ressors quelque chose d’horrible et gluant. Je l’ai raté.
Ma promenade s’éternise, mais la beauté du paysage me redonne espoir. Mon cœur se gonfle. Puis, un autre, semblable, mais pas aussi impeccable, se trouve sous mes yeux. Une vague approche encore dangereusement; c’est peut-être pas le bon moment, mais je réussis à le sortir du courant. Sa coquille est un peu abîmée, mais elle reste tout de même belle de l’extérieur. Je l’ouvre et découvre, un vide, des déchets, un petit mollusque; et le scénario se répète encore et encore. Découragée, je me laisse tomber sur la plage.
Vague déception. Baleine échouée. Regard plongé dans le bleu du ciel.
Tout devient sombre; notion du temps perdue. Puis, les rayons du soleil réchauffent ma carapace; mes paupières sont légères, la lumière me traverse comme hier, douce chaleur. La distance entre moi et l’eau se rétrécit. Quelque chose m’y attire comme un aimant, vers son amant. Je le repère dans l’eau; mystérieux. Il est tout près de moi, mon cœur se serre: j’ai peur qu’il ne m’échappe comme les autres. Mais je le sens, je suis au bon endroit, au bon moment, c’est le temps, c’est tentant. Sa moitié se cache dans le sable. Je l’agrippe d’un mouvement brusque et passe tout près de le briser. Mon souffle se coupe, ma vue se brouille.
Larmes salées, écume vague, étoile colorée. Des gouttes glissent le long de mes jambes comme de petits ruisseaux qui rejoignent l’océan. Mes yeux fixent toujours la chose: les vagues passent et ne la font pas bouger pour autant. Alors je comprends. Le temps ne presse pas, elle sera toujours là. Je la dégage doucement de ses attaches, la déterre de son fardeau et la sors de son flot. Je ne saurais la décrire, ni découvrir ce qui s’y cache à l’intérieur. Toutefois, je sais que je peux l’amener avec moi. C’est écrit dans le ciel.
Allongée encore une fois sur le sable, avec cette chose à mes côtés, je sens quelque chose de nouveau. Quelque chose d’inconnu. Quelque chose de beau. Je sens le plus grand bonheur, à l’intérieur. Et soudain…
Je me réveille et je sais, oui, je le sais véritablement:
j’ai trouvé la perle rare.