Le 19 août dernier, j’ai eu la chance de m’entretenir avec mon autrice préférée, Mélissa Perron. Je l’ai découverte en 2019 avec son premier roman Promets-moi un printemps. Depuis, j’attends avec impatience, curiosité et bonheur ses sorties littéraires. Elle a ensuite publié Belle comme le fleuve en 2021 et Au gré des Perséides en 2022. Trois romans que j’ai dévorés et qui ont d’ailleurs été renvoyés en réimpression pas longtemps après leurs sorties ! Mélissa est une autrice qui est venue me chercher jusqu’aux tripes. J’ai rarement ressenti quelque chose du genre en lisant un livre. L’histoire de Fabienne m’a séduite. Ses hauts, ses bas, sa personnalité, son art, sa sensibilité, tout.
Quand j’ai reçu son roman Promets-moi un printemps, je venais de revenir au travail après une grosse dépression. La lecture m’a tellement fait du bien. Je me suis sentie moins seule en lisant l’histoire de Fabienne. Mélissa aborde justement de gros sujets dans ses romans, mais sans que ce soit lourd. En lisant ses livres, j’ai souvent pleuré. Pas parce que c’était dur, mais parce que c’était beau. Les sujets comme la dépression, l’autisme et la mort, ce n’est pas joyeux. Mélissa réussit cependant à y mettre une belle douceur qui fait du bien. Dans ses romans, la mort est abordée avec beaucoup d’amour. Je trouve ça beau comment Mélissa a su exprimer le fait qu’il y a des vies qui se terminent, mais que les souvenirs restent.
Pourquoi écrire un roman ?
« En fait, j’ai toujours voulu écrire et la raison pour laquelle ça a été fait si tard dans ma vie, c’était parce que j’étais toujours en quête de savoir qu’est-ce qui me rendait différente. C’est sûr que la vie passait, j’ai eu des enfants, j’ai eu mon entreprise et tout… Mais, en tant que femme, je savais qui se passait quelque chose en dedans de moi. Je savais que j’étais différente, je savais que les diagnostics qu’on me donnait n’étaient pas les bons. Quand j’ai eu finalement le diagnostic d’autisme à 38 ans, je me suis dit “Là, je vais enfin pouvoir réaliser mon rêve. Je vais écrire et je vais écrire sur des thèmes qui sont super importants pour moi, donc sur la dépression que j’ai vécue souvent.”
Pour moi, quand j’ai écrit Promets-moi un printemps, c’était fini après. Dans le sens qu’il n’y avait pas de suite. Mais les lecteurs ont adoré Fabienne et ont demandé une suite et là je me suis dit “Qu’est-ce que je peux lui faire vivre ?” Et là, c’était une grosse évidence. OK, je m’en vais là-dedans. Fabienne a vécu une dépression, comme moi, en ne sachant pas qu’elle était autiste. Après ça, dans Belle le fleuve, le sujet c’était l’autisme au féminin.
Mais mon rêve d’écrire a toujours été là, je ne savais par contre pas quels thèmes j’allais choisir, mais c’était une évidence de commencer par des gros thèmes. J’aurais pu me planter. Tu commences ta carrière d’auteur avec un thème comme la dépression… Mais ça a fonctionné. »
Est-ce que Fabienne est un miroir sur toi-même ?
« Avec le premier roman, les gens voulaient que ce soit moi Fabienne, et je me battais un peu contre ça, je leur disais “Non, Fabienne c’est pas moi.” Et, après le troisième, je me dis que si les gens le veulent, ça me fait plaisir puisque je l’aime énormément. C’est sûr que les thèmes me touchent personnellement (la dépression, la femme autiste, etc.) mais Fabienne, je lui fais vivre des situations que je n’ai pas vécues. Je réagirais possiblement comme elle face à ces situations. Donc, oui, on peut dire que j’ai une personnalité qui lui ressemble beaucoup. »
Fabienne travaille dans une maison de soins de fin de vie, je trouve ça magnifique comment tu racontes les rencontres de Fabienne avec certains personnages. Est-ce que tu connais personnellement ce milieu ?
« En fait oui, j’avais onze ans et c’est mon père qui était là comme patient, lui il avait 41 ans. J’étais en sixième année. Habituellement les gens en maison de soins palliatifs, ils y restent environ 18 jours. Lui, il y est resté 59 jours. Il s’est vraiment battu jusqu’à la fin. Moi, je restais une enfant et j’y suis restée presque les deux mois. J’ai commencé à me promener de chambre en chambre pour parler avec les patients. Rapidement, j’ai dessiné pour eux. Je me souviens d’une femme qui m’avait demandé de peindre son jardin parce qu’elle n’allait plus jamais le revoir. Ce sont des choses qui m’ont vraiment marqué, mais qui étaient tellement belles, c’était des vraies conversations. Je trouve que ce n’était pas des conversations entre un enfant et un adulte, c’était vraiment des conversations entre quelqu’un qui était conscient de ne plus avoir de vie devant lui et quelqu’un qui en avait plein devant. Ça m’a vraiment marquée. Je suis restée en lien avec cette maison de soins palliatifs. Je vais souvent y donner mon art pour qu’ils ramassent des sous. Créer un personnage comme Fabienne, qui travaille là-bas, c’était une façon de leur rendre hommage et une façon de les mettre en lumière, parce que ce sont des êtres incroyables. »
Quelle est ta routine d’écriture ?
« C’est souvent la même chose. Je dois être seule. J’ai toujours des écouteurs, c’est toujours du Patrick Watson qui joue. J’écris 6 heures par jour, c’est donc 6 heures de Patrick Watson. Je ne le connaissais pas avant, je le connaissais de nom, mais je n’avais jamais écouté sa musique. C’est quand j’ai écrit Belle comme le fleuve, pendant que j’écrivais mes mots, j’apprenais par cœur toutes ses chansons. C’est vraiment étrange, mais c’est ça ma routine. Il faut que je sois seule et que j’écoute du Patrick Watson.
J’ai pas de plan. Je m’assois, je ne me dis pas “Aujourd’hui, je m’en vais de A à B”. Moi, je suis comme vous les lecteurs. Quand je tourne les pages, je sais pas ce qui va arriver, donc je m’assois, j’écris et je respecte ce qui vient. »
On n’a jamais mentionné le mot trilogie, est-ce que Fabienne reviendra pour un prochain roman ?
« C’est vrai qu’avec Fabienne, c’est pas une trilogie. Sinon, Au gré des perséides, ça aurait été différent. En tant qu’autrice, je ne peux même pas dire quand ça va se terminer, parce que je sais qu’elle a encore beaucoup de choses à vivre. Je commence un quatrième roman, mais je donne une pause à Fabienne. C’est parce qu’il y a d’autres choses qui m’arrivent en tête, et quand l’inspiration est là, il faut la respecter. Je pense que ce temps-là que je vais lui laisser va être bénéfique quand je vais me rasseoir et me dire “Bon qu’est-ce qui va se passer pour Fabienne ?” Après trois, je trouve que je suis pas mal collée. Il y a d’autres choses qui me sont venues comme idées et je vais les suivre. »
Qu’est-ce qui t’a poussée à aborder le sujet de l’autisme dans tes romans ?
« La vraie raison, c’est que je ne veux plus qu’en 2022, des femmes vivent ce que j’ai vécu. Dans le sens qu’en ce moment, on se parle et il y a des petites filles, des jeunes adolescentes, des jeunes femmes, des femmes matures qui ne savent pas encore qu’elles sont autistes et je trouve ça hallucinant. Un médecin, 2 ou 3 ans après que j’ai reçu mon diagnostic d’autisme, m’a dit “Ne crois pas ce diagnostic-là, parce que tu parles, tu me regardes dans les yeux, t’es une mère.” Je me suis dit qu’on avait du chemin à faire. Je me suis fait donner beaucoup de diagnostics, mais en fait j’étais pas une dépressive chronique, c’était une comorbidité de l’autisme. Encore maintenant, c’est tellement mal connu des médecins qu’on y va pour un diagnostic d’anxiété généralisée. On a pas encore le réflexe de dire que ce serait peut-être bon d’aller investiguer. C’est pas toujours ça, évidemment, mais il faut avoir ça en tête, qu’une femme autiste, ça camoufle tout : son anxiété, sa dépression, et d’autres choses.
Pour moi, c’était important. J’ai écrit un billet dans la presse le 1er août 2021. Mon livre Belle comme le fleuve était déjà écrit et il allait sortir le 25 août, mais quand le billet a été publié, le nombre de messages que j’ai reçus et, un an plus tard, j’en reçois encore. Ça m’a juste dit “Hey, t’as tellement bien fait, t’as parlé de ça dans Belle comme le fleuve.” Des femmes m’écrivent encore que c’est grâce à mon billet dans la Presse qu’elles ont eu leur diagnostic d’autisme. Des femmes de 50-60 ans et plus. Je savais que j’étais pas la seule à vivre ça et je suis la seule autrice autiste francophone qui a sorti un roman sur une femme autiste. »
C’est sans aucun doute une très bonne idée de cadeau à offrir à quelqu’un ou à soi-même!
Pour en savoir plus sur Mélissa Perron et découvrir ses trois romans, c’est ICI.
Elle sera également au Salon du livre de Montréal le samedi 26 novembre de 11h à 12h et le dimanche 27 novembre de 12h30 à 14h au kiosqie 701.