La madame qui dansait

La madame qui dansait dans l’autobus

Hier, j’sortais de l’hôpital. J’retournais chez moi.

J’avais l’esprit pogné dans une espèce de nostalgie.          

Une nostalgie de ma vie d’avant.

J’m’ennuyais pas des événements,

mais de qui j’étais.

Un souvenir de légèreté, de soleil et de rires.

Ces derniers temps,

j’me reconnaissais plus.

J’savais pas qui j’étais.

C’est perturbant de regarder dans l’miroir

pis’ de pas pouvoir

décrire, c’est qui c’te personne-là qui se tient devant moi?

Ça fait peur de s’avouer que ça va mal.

Ça fait peur de se voir aussi bas.

Tellement bas que la lumière,

tu ne te souviens même pas c’est quand la dernière fois que tu l’as vue.

Ta routine ressemble à :

  • Brouiller du noir pour déjeuner.
  • Boire des larmes pour dîner.
  • Blâmer le monde entier pour souper.

Pis’ du poids sur les épaules, c’pas ça qui manque.

Tu t’écrases jusqu’à ce que l’on ne te voit plus.

Tu te pèses et t’enfonces dans les chiffres.

C’que tu vois de toi dans le regard des autres, c’est beau.

Tellement beau qu’tu penses que ta vue commence à te jouer des tours.

Que quelque chose en toi est défectueux.

Encore.

Ton reflet dans le noir des yeux brille.

Mais pourquoi y’est pas pareil dans l’miroir du bar?

Pourquoi ta face dans ton verre est floue?

Pourquoi tes yeux dans ton cell sont creux?

Tu te sens lourd pour les autres.

T’as l’impression que de parler,

ça ferait juste briser.

Briser la belle image que t’as construite,

à travers le visage des gens.

Surtout quand tu répondais «oui», au fameux «ça va?».

Jusqu’à temps qu’tu penses que tu remonterais jamais la pente.

Jusqu’à temps que tu te décourages;

que tu vois le sommet de la montagne

comme la chose que t’as toujours voulue.

Mais que t’as jamais eue.

Jusqu’au jour où t’as pogné le fond du baril.

Le fond du fond comme la crème de la crème.

Ton esprit a fait un espèce de 180 degrés.

T’as réalisé que c’que tu voulais, c’tait pas mourir.

C’tait arrêter de souffrir.

T’as réalisé qu’au contraire, tu voulais vivre.

Pis’ t’as toujours eu cette envie-là au fond de toi.

Tu savais que t’étais dans le déni,

pour pas mal de choses,

mais tu savais pas,

que t’avais mis ta vie au complet dedans.

Que tu l’avais mise dans un gros sac noir,

sur le bord du trottoir.

Que tu t’étais bandé les yeux toi-même.

Parce que tu voulais pas voir qui t’étais toi, au fond.

T’as toujours dit que t’étais authentique,

mais tu savais même pas comment te décrire.

T’as toujours dit que ça allait bien,

et t’as toujours accroché un beau sourire dans ta face,

mais c’tait juste une préface.

Parce que t’avais beau tourner et tourner les pages,

tu te retrouvais sans cesse dans le noyau de l’histoire.

Pis ça faisait mal.

Câlissement mal.

Fait que tu fermais le livre pis’ tu montrais juste la couverture.

La belle couverture lisse, brillante, colorée pis’ toute.

Pis’ quand t’as voulu brûler ton livre,

que tu y as mis le feu, le rouge au cul,

t’as tout de suite regretté.

T’as mis de l’eau sur tes pages,

en pleurant un bon coup.

T’as pris soin de les sécher une par une,

pendant des heures, des jours, pis’ des semaines.

Tu t’es mis à réécrire ton histoire;

à ton rythme, tout doucement.

T’avais beau avoir les yeux rougis 24/24:

t’avais jamais vu la vie aussi colorée.

Le noir commençait à s’effacer,

un jour à la fois.

Y’a laissé place au soleil

pis’ les rayons sont venus réchauffer ton cœur.

Tu t’es posé des questions que t’avais rangées,

depuis longtemps,

dans un gros tiroir;

Dans le noir.

Mais c’te fois-là,

tu t’es laissé le droit.

Le droit d’avoir des réponses;

de connaître la vérité.

Douloureuse ou pas.

Pis’ surtout, tu t’es laissé aider.

C’tait pas la première fois,

que tu volais si bas.

Mais cette fois,

tu savais que tu devais te laisser aider.

Laisser les autres recoller les plumes sur tes ailes.

Avec toi. Après ton premier pas.

Tu savais que tu voulais voler de nouveau.

L’autobus est arrivé pis t’es enfin monté.

Sur le coup, t’as trouvé que la musique du chauffeur,

était crissement poche.

Pis’ deux arrêts plus loin,

t’as vu une vieille madame monter à bord,

qui s’est mise à danser,

dès qu’elle a entendu la musique.

Tu l’as vue se déhancher pis’ rire,

comme si y’avait pas de lendemain.

Danser pis’ rire, toute seule. Devant tout le monde. Sur une tune plate.

T’as fini par sourire à ton tour.

T’as même un peu ri dans ta barbe.

Ça t’a vraiment fait du bien de voir ça.

Parce qu’à ce moment-là,

t’as réalisé que c’te madame-là, était bien heureuse de même.

Qu’elle ne se souciait pas de grand chose.

Pis’ qu’tu voulais être comme elle.

Qu’tu voulais redevenir la personne que t’avais été.

Toi aussi, tu voulais rire, danser, pis pas prendre la vie trop au sérieux.

Tu ne voulais plus te voir dans le regard des autres.

T’as su que t’étais le seul responsable de ton bonheur;

que tu voulais être libre.

Fait que t’as arrêté de mettre le monde entier sur tes épaules,

pis’ tu t’es mis à danser toi aussi.

Tu t’es même mis à crier:

«Dansez, dansez! Aweillez, dansez comme la madame!»

Le monde t’a regardé croche; t’avais l’air d’un débile léger.

Mais t’en avais rien à chier.

Parce que t’es débile,

pis’ ça fait longtemps qu’tu l’sais.

Pis’ parce que tu te sentais léger, pis ça,

ça faisait longtemps que tu le voulais.

Crédit photo de couverture

Annabelle Légaré
Catherine Duguay

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