Je suis en colère

Je suis en colère

Je suis en colère. Pas à cause du confinement lui-même, mais pour les dommages qu’il pourrait engendrer et qu’il engendre déjà.

Je ne parle par du fait que je doive personnellement rester à la maison avec mes enfants, non. Je vais bien et je me trouve chanceuse dans tous ces changements. J’ai un conjoint et des enfants en santé, j’ai une maison et une grande cours. Je continue d’avoir un magnifique travail qui me permet de rester impliquée et de me sentir utile. Comme mon conjoint a perdu son emploi, je m’inquiète un peu de la période de transition avant qu’il n’ait droit au chômage, mais je sais que ça va aller, pour nous.

Mais je suis en colère.

Je suis fâchée de voir venir tous les obstacles pour de nombreuses familles. Je m’indigne de savoir que plusieurs enfants souffriront de ce trop grand rapprochement avec des parents qui ne savent pas être doux. J’ai peur pour toutes ses femmes prises avec la violence d’un conjoint. Parce que toute cette proximité, tout ce stress, toute cette ambiance de fin du monde, c’est propice à la violence…

Toutes ces personnes qui habituellement peuvent compter sur du dépannage alimentaire, sur un tissu social bâti par des organismes bienveillants. Tous ces intervenants qui apportent du doux dans la vie de ces personnes immigrées, qui ne parlent pas encore le français et qui ne comprennent pas trop ce qui se passe en ce moment, qui vont chercher les informations sur les médias de leur pays d’origine. Ils ont peur, ils sont terrorisés. Certains n’osent même plus sortir sur le balcon, pensant que la maladie flotte dans l’air. Ce doit être si épuisant d’être sur le qui-vive comme ça en permanence.

À toutes ces personnes vivant seules, à ces personnes souffrant de maladie mentale, à celles qui ne savent pas quand elles auront un prochain repas digne de ce nom, celles qui ont peur de ne pas pouvoir payer le prochain loyer, celles qui viennent de perdre leur emploi et qui ne savent pas quand l’aide viendra…

Je suis en colère.

Pourquoi encore une fois, ce sont encore les mêmes personnes qui soutiennent notre société? Une chance que le milieu communautaire existe. Ce sont elles qui essayent, tant bien que mal de trouver des solutions concrètes pour toutes ses personnes en souffrance. Le communautaire et le médical. On le voit bien à quel point ces employées (le féminin est de mise) sont nécessaires pour le bien-être de notre société.

Elles sont où les grandes entreprises et leurs portes-feuilles plein? Il est où l’argent en ce moment? Le peuple va vivre une grande période de pauvreté, d’insécurité profonde, avec tous les enjeux qui viennent avec. Pourquoi aucun dirigeant ou propriétaire ne s’implique vraiment? Cet argent pourrait enfin servir au bien commun. Pour créer un fonds de secours, pour mettre sur pied des services de livraison de nourriture pour toutes les familles, pour payer le loyer ou l’hypothèque des plus démunis, pour investir dans la santé, pour faire en sorte que le monde soit meilleur!!! Il me semble qu’il serait temps que ce ne soit plus aux mêmes personnes de prendre soin des autres. Ces gens dans ces tours d’ivoire, ils pourraient donner un coup de main aussi, non? Il serait temps qu’ils se réveillent, parce que cette maladie n’épargne pas les riches.

Mais les gens pauvres qui vivent en grande proximité ont plus de chances de contaminer leur entourage… Et encore, on a la chance d’avoir un système de santé public. On imagine bien ce que ça va engendrer aux États-Unis, où des individus mourront seuls dans leur maison, parce qu’ils n’auront pas eu les moyens d’aller à l’hôpital. C’est pas dégueulasse, ça?

Et je ne parle même pas de ce qui s’en vient et qui commence déjà parfois! Les délations, une nouvelle forme de chasse aux sorcières, pour dénoncer les attroupements. Oui, je comprends qu’il faut appliquer la distanciation sociale (physique, en fait), mais de là à dénoncer une femme qui se promène avec des enfants, parce que quelqu’un pense que c’est un attroupement, mais qu’au fond, cette femme est avec ses propres enfants. C’est propice aux glissements, au profilage, aux petites vengeances, à une certaine panique collective, qui fera en sorte qu’on ne pourra plus faire confiance en son voisin…

Je vais même aller plus loin.

Je suis en colère, parce que nous sommes en train de montrer que la peur nous rend bien dociles. J’espère que notre gouvernement sera encore une démocratie après tout ça. Nous sommes en train de démontrer exactement comment nous gouverner par la peur. Un énorme pourcentage de la population a perdu son emploi. Plusieurs (femmes, surtout) se mettent à risque tous les jours pour les services essentiels : médecins, infirmières, caissières… Et tranquillement, on pourrait perdre des droits. Comme en France, qui retarde les avortements, disant que ce ne sont pas des opérations pressantes en ce moment. Ce qui va faire qu’au bout d’un moment, il sera trop tard pour les faire, puisque les grossesses vont être au-delà des limites prescrites. Est-ce qu’on va retourner aux avortements illégaux? Aux États-Unis, au Texas et en Ohio, on a déjà prétexté que les avortements n’étaient pas essentiels et ont changé la législation à ce sujet[1]… Comme Simone de Beauvoir l’a déjà dit : «N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.» Alors, je reste vigilante. Et vous devriez aussi…

Je suis en colère, parce que je vois à quel point les écarts sont grands entre les classes sociales. Et le fossé ne fait que se creuser d’avantage. La pandémie accentue et accélère le phénomène. Encore plus de gens se retrouveront dans le bas, à souffrir, à manquer des biens essentiels. Je suis découragée devant tous ces défis qui s’annoncent.

Le pire là-dedans, c’est que d’habitude, je suis une personne optimiste. Je suis du genre à voire le verre à moitié plein. Je suis celle qui remonte le moral des autres quand ils filent moches. Je suis celle qui s’émerveille facilement, qui voit le beau un peu partout. Mais en ce moment, je n’y arrive pas. Je suis en colère et je me permet de la vivre. Parce que j’ose espérer qu’en voyant le pire, j’arriverai peut-être à trouver des solutions. Je l’espère… Aussi, je tiens à ajouter que je n’incite personne à faire de la désobéissance civile. Restez chez vous! C’est vrai qu’en ce moment, c’est la meilleure chose à faire. Je ne veux juste pas qu’on oublie notre esprit critique. C’est correct de se poser des questions, c’est correct de rester vigilants. Même à partir de nos salons, c’est une bonne chose de garder l’oeil ouvert, de rester aux aguets, d’être prudents.


[1] https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/575877/pandemie-des-etats-en-profitent-pour-limiter-le-droit-a-l-avortement

Anonyme
Catherine Duguay

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