CHSLD

J’ai peur de finir ma vie dans un CHSLD

J’ai peut-être juste 37 ans, mais quand t’approches de la quarantaine, tu commences à penser à ce qui s’en vient, tout en étant nostalgique de ce qui est passé. La vie étant ce qu’elle est, le quotidien défile à une vitesse folle et c’est en vieillissant que le temps qui passe te rentre dedans et te fait prendre conscience que tu n’es pas éternelle.

J’ai commencé à visualiser ce que j’attends de ma vie pour les prochaines années et surtout, comment je veux la terminer.

Cette vie que je tente de vivre pleinement, tout en étant consciente que je ne l’exploite pas toujours à son plein potentiel. Cette vie que j’ai mis 37 ans à apprivoiser et qui me surprend encore au moins une fois par jour.

Pourtant il viendra un jour où je serai limitée, où je serai désespérée de ne plus posséder la même autonomie. Un jour où je serai dépendante des autres pour tout.

J’ai peur.

Je suis effrayée par ma fin de vie.

Terrifiée à l’idée de passer mes journées dans un immeuble rempli d’inconnus alors que j’ai toujours été un peu sauvage et protectrice de mon espace.

J’ai la chienne de dépendre des autres pour manger, boire, aller aux toilettes. J’espère ne pas vivre l’humiliation des couches, finir ma vie sans être autonome de mon papier cul et de la gestion de mes bobettes me plonge dans un inconfort indescriptible.

J’ai une passion pour les gels de douche qui sentent la noix de coco et je me gâte régulièrement avec un bain bouillant rempli de mousse dans lequel je me prélasse jusqu’à en avoir les doigts ratatinés. Moi qui prends une douche tous les jours, je devrai me contenter de quelques coups de débarbouillette passés à la va-vite sur mon corps plissé et usé. Tout en attendant LA journée où je pourrai me sentir fraîche et détendue pendant quelques heures après un trempage de quelques minutes.

J’ai peur de déranger, de devenir une vieille malcommode qui ne fait que chialer sur sa vie d’avant. J’ai peur que mes sautes d’humeur ne soient pas juste attribuées à mes hormones, mais au fait que je suis constamment malheureuse. J’ai peur de ne plus être libre de m’exprimer par écrit, de ne plus être capable de coucher mes pensées sur papier et pire, de ne plus avoir personne avec qui les partager.

Alors que je me suis découvert sur le tard une passion pour la cuisine et que j’aurai toujours eu de bons repas à partager, je devrai me contenter du même menu qui revient toutes les 4 ou 5 semaines sans pouvoir me délecter d’une bonne poutine ou de sushis à volonté, à part lors d’une sortie spéciale.

Je n’ai pas connu mon grand-père paternel, mort avant ma naissance. Je suis allée à New York pour la première fois… avec mon grand-père maternel qui était assez pimpant à 70 ans pour déambuler dans les rues de Time Square avec les yeux aussi émerveillés qu’un enfant de 5 ans. Il habite encore seul dans son petit 1½ et bien que de plus en plus confus face au monde extérieur, il est encore libre de ses allées et venues. Mes deux mamies sont mortes alors qu’elles bénéficiaient encore du confort de leur maison. Bien que leur perte m’ait attristée au plus haut point, je suis heureuse qu’elles aient pu éviter cet endroit qui a mauvaise presse depuis quelques jours.

Avant de me faire lancer des roches par les propriétaires ou les préposés qui travaillent dans les CHSLD, sachez que je sais très bien que ce ne sont pas tous les endroits qui sont comme ça. Je sais qu’il est possible de finir ses jours dans un endroit où je serai soutenue, écoutée, prise en charge par des personnes de cœur qui feront de leur mieux avec les moyens dont elles disposent. Cela dit, le gouvernement a encore beaucoup de travail à faire de ce côté et j’espère que, lorsque la crise sera terminée, il tiendra ses promesses. Parce que comme l’a si bien dit Stéphane Laporte : «Vieillir avec dignité devrait être un projet de société».

Il ne faut pas mettre tous nos œufs dans le même panier ni généraliser, mais force est d’admettre qu’à la lumière de ce qui ressort dans les médias ces derniers jours, ma peur s’est ravivée d’un coup. J’ai encore plus le désir de finir ma vie chez moi, entourée de mes souvenirs, et pleinement consciente de la chance que j’ai d’y être restée jusqu’au bout.

Jennifer Martin
Jeneviève profil

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