la fin de mon ptit monde-3

La fin de mon p’tit monde – Un journal de confinement – Partie 3

Pour lire les deux premières parties, c’est ICI et ICI.

Ce matin, la lourdeur se ressent partout.

Même les nuages se sont passé le mot de porter du gris.

C’est comme ces influenceuses qui décident de la façon que tu vas te vêtir aujourd’hui à travers leurs centaines de stories.

C’est aujourd’hui que le premier ministre du Québec va sceller le sort des écoles jusqu’à la fin de l’année.

Tic. Toc. Tic. Toc.

Les aiguilles de ma montre ne forment qu’un avec les battements de mon coeur qui n’en peuvent plus de courir un marathon.

Souhaitez-vous savoir à quoi j’ai joué, aujourd’hui, avec mes élèves?

Au ballon.

Bien oui!

Je lançais le ballon et mes élèves l’attrapaient.

Chacun d’entre eux est allé fouiner dans un placard pas trop loin afin de faire suivre la chaîne.

« Le ballon de la parole ».

Ça ne leur en prend pas gros pour les amuser.

Et moi, pour me faire sourire et pour me faire oublier, l’instant d’une heure, ma nervosité constante quant à l’avenir qui m’attend impatiemment pour les deux prochains mois.

Suite à l’annonce faite par le gouvernement, j’ai pris la décision d’aller agencer ma classe selon ses demandes ce matin.

Hey! Je n’ai jamais été vraiment bonne au Tétris: imaginez le struggle.

Je trainais mon tape à mesurer comme un chien en laisse.

« Si je place ce pupitre ici, c’est correct? Haha! Bien non! Ça ne respecte pas les deux mètres! »

D’une folle j’aurais eu l’air si quelqu’un avait à circuler près de ma salle de classe et avait à m’entendre.

La leçon de ce matin a eu lieu en direct de mon bureau et de ma chaise ultra confortable de ma classe.

Un autre petit garçon se rendit compte que je n’étais pas dans la chambre d’amis.

« Madame? Où êtes-vous aujourd’hui, hein? Je ne me reconnais pas. »

Que d’excitation se dégagea de mon écran quand je déclarai que j’étais à l’école.

Cet endroit était devenu comme une place mythique:

« On veut voir la classe, madame! On veut voir la classe! »

Cette demande me parut absurde, car un lieu ne peut pas disparaître en un claquement de doigts, mais pour eux, c’était du réconfort à l’état pur de voir que le tableau, leur chaise et leur bibliothèque n’avaient pas bougé d’un cran.

J’étais en mode action.

Je ne réfléchissais plus.

Je ne tentais plus de dissocier les mensonges des réseaux sociaux des vérités poignantes changeantes du gouvernement.

Je fonçais tête première dans le mur qui se présentait à moi.

Même les adultes de mon entourage semblaient surpris du tournant qu’avait pris mon attitude face à la nouvelle réalité qui se présentait à moi :

Enseigner avec un masque.

Enseigner à deux mètres de mes élèves.

Enseigner physiquement à l’école et enseigner virtuellement sur Zoom.

« C’est l’incertitude qui me ronge par en-dedans. Rien d’autre. C’était une date qui me fallait. C’était ça que ça me prenait pour augmenter mon degré de motivation. »

Après avoir rédigé quelques notes sur son calepin, ma thérapeute reposa son regard rassurant sur moi.

Même à travers une caméra d’un téléphone portable, ma psychologue a le tour de me calmer les nerfs et ce, sans dire quoi que ce soit.

Ne pas savoir.

L’expression « ignorance is bliss » ne s’applique pas du tout à moi.

Je me souviens, quand j’étais plus petite, ignorer ce que j’allais déguster sur l’heure du souper était quelque chose d’inquiétant pour moi parce que je ne savais pas.

Encore de nos jours, je me dois de tout savoir.

C’est rassurant.

Je n’ai pas l’impression de tituber d’un bord et de l’autre sans trop savoir ce que j’exécute.

En étant au courant, je trace ma voie et je la suis aveuglément.

C’est drôle, hein, mais même en ayant le 19 mai d’encerclé en gros rouge pompier dans mon agenda, un doute flottait dans mon esprit.

« Les filles, je veux votre point de vue de politiciennes : est-ce qu’on rouvre nos établissements scolaires pour de vrai dans deux semaines? »

En posant cette question, le sourire béant présent dans le visage de mes deux amies d’université venait de disparaître.

Pouf!

Comme par magie, le bonheur de partager notre deuxième verre après une heure de discutions en ligne sur Messenger venait de faire place à de la consternation.

Sherbrooke, c’est une région fort fort lointaine, donc la question n’avait pas lieu d’être demandée, mais la Montérégie…

Écoutez, ce n’est pas être pessimiste, mais réaliste je dirais : on avait prédit ce qui a été annoncé à 13h09 aujourd’hui:

La réouverture des écoles est repoussée au 25 mai.

Soulagée?

Douteuse?

Encore une fois, ces mots ne résonnaient pas assez fort pour décrire le mélange Molotov qui bouillait dans mes tripes.

Surprise?

Non.

À vrai dire, j’étais en colère.

La frustration me rongeait de l’intérieur, car le temps que je devais endurer le boulet qui m’empêchait de me visualiser, ma classe et moi, venait de s’allonger encore de sept jours.

Vous savez quoi?

Mon instinct me dit que le gouvernement prolonge notre sentence pour nous préparer au pire :

Un retour indéniable seulement au mois de septembre.

À suivre…

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