visages masqués

Ces visages masqués que je ne connais pas

Un rectangle en papier bleu, en tissu à motifs ou uni.

Des élastiques qui frottent derrière les oreilles. Des lunettes embuées, la peau qui pique, la voix étouffée, le souffle qu’on cherche après quelques heures.

Depuis juillet, ces morceaux de tissus multicolores cachent une grande partie de nos visages.

On les porte sur notre visage chaque fois qu’on est ailleurs que chez soi, et même à l’extérieur dans certains endroits. Ils font partie de notre quotidien depuis près d’un an et on ne voit malheureusement pas le jour où on pourra les ranger pour de bon. Pour l’instant.

On dit souvent que les émotions passent par le regard. Plus que jamais, c’est vrai. Les petits yeux plissés qui illustrent un sourire qu’on ne voit malheureusement pas. Les sourcils froncés qui cachent des lèvres serrées par la colère.

J’ai réalisé au cours des derniers mois qu’une bouche en révèle tout autant. En les masquant, on restreint l’accès à plusieurs choses. La moue boudeuse d’une situation qui ne fait pas notre affaire, un sourire éclatant qui illumine une pièce tout entière, une bouche moqueuse qui traduit un mauvais coup qu’on tente de dissimuler. Des lèvres en cœur qui miment un bisou qu’on désire envoyer subtilement à quelqu’un.

Ces masques qu’on porte nous privent d’une partie des humains qu’on aime, mais nous empêchent aussi de voir le vrai visage des inconnus qu’on côtoie.

Il y a quelque temps, j’ai remarqué un commentaire sur Facebook sous la photo d’une amie qui disait : «Ah, c’est à ça que tu ressembles sous ton masque!».

Ça m’a marqué.

Je me suis rappelé que moi aussi, j’avais eu cette réflexion lorsque j’ai rencontré ma nouvelle physiothérapeute. J’ai dû l’ajouter sur le célèbre réseau social pour voir à quoi ressemblait son visage à découvert.

Dans le cadre de mon travail d’éducatrice, il y a aussi des parents dont je n’ai jamais vu le visage. C’est triste, je trouve. Si jamais un jour, on a le droit de les enlever, je risque d’avoir besoin de quelques minutes pour les reconnaître lorsqu’ils viendront chercher leurs enfants.

Incroyable qu’on en soit là.

Je ne porte plus de rouge à lèvres, alors que c’est presque ma marque de commerce d’en appliquer quotidiennement, quelle que soit la couleur.

J’ai beau continuer à brosser mes cils de mascara et colorer mes paupières avec l’une de mes nombreuses palettes, j’ai l’impression d’être incomplète sans mes babines rouges qui mettent l’accent sur ma bouche.

C’est superficiel d’y accorder de l’importance alors qu’on se bat contre un virus qui fait tant de dommages. J’en suis consciente. Porter le masque permet de sauver des vies et de me protéger du virus.

C’est pourquoi je le porte sans chialer.

Mais je rêve de retrouver, dans un avenir pas trop lointain, ma bouche libre de respirer correctement à nouveau, la sensation du vent sur mon nez, la petite peau sèche qui recouvre mes lèvres quand je les lèche au grand air.

Mais surtout, les visages découverts que j’aime tant.

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