J’ai passé un trop court séjour à contempler d’autres toiles, en croyant que cette pause serait suffisante. Puis, j’ai invité d’autres artistes à se joindre à moi entre les murs de ce qui existait auparavant, en croyant que les créations que nous allions faire seraient suffisantes. Mais je me trompais. Dans l’instant présent, je m’y suis sentie bien, mais rapidement, ce vide où se trouvait cette fameuse toile a refait surface.
Je n’ai jamais observé aussi méthodiquement cet espace laissé sur mon mur, ce vide. Je suis persuadée de mon choix. Persuadée que c’était la fin. Que cette toile a perdu son sens depuis un moment déjà. Mais, mon coeur a pris un peu plus long avant de s’y faire et de l’accepter et ma bouche a pris encore plus de temps avant de le nommer. Même si je scrute à la loupe les moindres détails, je ne retrouve que très peu de ce qu’était pour moi, cette toile. Malgré que son paysage n’existe plus depuis trop longtemps, je sais que je regarde les traces de ce qui a, auparavant, existé. Ressentant un instinct de survie et des regrets, désirant sauver le peu qu’il reste, mélangé avec un sentiment d’acceptation de ce qui n’est plus et de ce qui viendra.
Cette route sinueuse qui se présente à moi, amène un profond sentiment de nostalgie qui m’envahit. De ce que cette toile a été pour moi et d’un restant de mon envie de garder une partie d’elle avec moi. Mais, au final, une nostalgie de ce qu’elle n’est plus. Comme si la tempête illustrée sur la toile, s’était noyée elle-même dans son cœur et qu’elle avait tenté de tout amener sur son passage ; ma maison et sa fondation. Contrairement à toutes ces autres fois, je suis réaliste et je suis solide. Émotivement ébranlée, mais rationnellement forte. Elle n’a pas réussi à tout emporter avec elle. Certes, ma fondation est abîmée, mais elle est encore bien à sa place, celle où je suis la seule à y avoir accès cette fois-ci.
Alors que je croyais que, comme à chacune de mes hésitations, mon amour pour cette toile allait perdurer dans le temps, même crier et souffrir par son absence, ce ne fut pas le cas. Où est-elle, cette toile ? Je l’ai décrochée de mon mur, mais je n’ai aucune idée où elle est rangée maintenant. Cette fois, j’ai cru apercevoir son cadre si rigide devenu si fragile, craqué et abîmé. Où est-elle, cette toile ? J’ai beau m’approcher un peu, je n’arrive plus à la percevoir, à la ressentir. Malgré tous mes efforts, je ne détecte plus rien. Bien que je sois persuadée, lorsque je ferme les yeux, que je laisse place à mon coeur, mes émotions et mes souvenirs, je la cherche encore, en vain. Son paysage est si flou. Ses sons si cacophoniques. Sa chaleur si froide. Sa porte si loin. Cette toile faisait partie de ma maison. Elle a quitté mon domicile si brusquement, laissant derrière elle de profonds sentiments de nostalgie, mais aussi d’amertume, de colère, de déception et d’inconnu. Je n’avais jamais prononcé ces mots auparavant en pensant à cette toile. Je les prononce maintenant, ne saisissant pas l’entière portée de ces sentiments. Ces mots font mal et me sont étrangers. Tu aurais dû m’y préparer, toi ma chère tempête.
Pour la toute première fois, j’étais prise dans la tempête et je la voyais si clairement que je pouvais la percevoir entièrement. Il y avait trop de vents. Trop de nuages. Trop de vagues. Trop de cris. Trop de peurs. Trop de pertes. Je n’arrivais plus à voir la beauté du paysage. Même que, c’est comme s’il n’avait existé que dans ma tête et dans mes rêves. Est-ce le cas ? Peut-être ai-je le besoin de vivre cette tempête pour mieux percevoir la finalité ? Tant de doutes. À travers cette tempête, la seule chose qui demeure intacte et qui me rassure, est ma profonde certitude que mes sentiments pour cette fameuse toile n’existent plus maintenant, du moins pas comme ils étaient auparavant. Ils ont suivi la toile lorsqu’elle a quitté. Mais, si tu la retrouves, garde-la, je n’en veux plus.
Mon cœur et celle de la tempête se chuchotaient de belles choses quelques fois et se comprenaient encore, malgré tout. Mais, maintenant, le compte à rebours est commencé. Je l’entends au loin depuis un moment déjà, mais il tire à sa fin. Moins de 48 heures. Dès demain, il ne résonnera plus jamais, nulle part. Et je le sais profondément. Ce paysage et cette toile n’existent plus du tout. Et la multitude d’émotions que je ressens en y pensant sont similaires au vide que j’ai devant moi ; familier, mais inconnu, beau, mais effrayant, identique, mais si différent, vide, mais rempli à la fois. J’entends ce compte à rebours s’essouffler. L’entends-tu, se perdre dans l’écho de ma maison ? J’espère que tu entends ses derniers souffles.
Je tente autant que je le peux de ressasser toutes les photos de ce magnifique paysage dans ma tête, de tous ses recoins, de toutes ses qualités et de tous ses défauts, de ses murs et de ses reliefs. Je tente de retrouver les souvenirs et les émotions qui y sont associés, afin d’être apaisée. Malgré toute ma volonté de le faire perdurer, ce paysage qui m’était si familier n’y est plus et je dois me rendre à l’évidence. En ma possession, mon inspiration, ma créativité, ma force et toutes mes couleurs, pour, à nouveau, laisser valser mes pinceaux sur une toute nouvelle toile, que je choisirai d’apposer sur mon mur à la place de la nôtre.