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Après l’opération, dont je ne garde qu’un vague souvenir, heureusement, j’ai vite compris que je n’allais pas pouvoir remarcher normalement de sitôt. La douleur est vite apparue après la disparition des derniers bienfaits de l’anesthésie.
Une douleur vive, pas agréable du tout.
Le genre de douleur où tu dois te parler en maudit pour ne pas hurler et te mettre en petite boule pour pleurer. Je faisais ma tough, encore une fois, sachant que j’étais loin d’être la patiente la plus éclopée de l’hôpital, mais j’avais hâte que les antidouleurs fassent effet et surtout, de retrouver le confort de ma maison pour y dormir pendant 12 heures d’affilée.
Aussitôt le congé signé, je mettais le pied hors de l’hôpital, chancelante, affaiblie par les émotions de la journée et mon jeûne des 24 dernières heures. Avec des nausées accompagnant mon retour à la réalité après un voyage dans les vapes, je me concentrais ben fort à ne pas vomir sur la banquette de la voiture.
Je prenais le chemin de la maison.
L’endroit où j’allais passer les 6 prochaines semaines minimum.
J’avais beau aimer ma maison, elle devenait la cage dorée où j’allais être enfermée contre mon gré pour les prochains jours.
Certains diront que j’exagère. Que c’est plaisant d’être au repos et que je devrais en profiter.
On me l’a beaucoup dit dans les heures qui ont suivi. Et d’autres sages paroles du même genre.
« Profites-en pour te reposer, Jen. »
« Tu vas pouvoir relaxer, prendre du temps pour toi. »
« Ça tombe bien, tu n’arrêtes jamais, la vie t’envoie peut-être un signe que t’en faisais trop. »
« Ce n’est pas la fin du monde, prends-le comme des vacances. »
« Au moins, tu es sur la CNESST, tu vas être payée pour rester chez toi et tu vas pouvoir prendre le temps de guérir. »
Toutes des phrases censées me réconforter.
Oui, on rêve tous de pouvoir prendre du temps pour soi, de marquer un temps d’arrêt pour se ressourcer et reprendre des forces.
Certes, c’est l’fun de ne pas avoir à s’inquiéter de ses factures et de ses paiements, sachant que mon salaire continuera à être déposé toutes les deux semaines. Si j’étais tombée chez moi, ça ferait beaucoup plus mal au portefeuille, surtout à 6 semaines de Noël.
J’ai acquiescé à tous ces sages conseils censés me réconforter.
Oui, ils sont véridiques.
Mais à ce moment-là, je ne voulais pas les entendre.
Je devais être inactive pour un minimum de 2 mois !
Est-ce que quelqu’un pouvait comprendre quelle catastrophe ça représentait pour moi ?
Tu parles d’une fille qui n’arrête jamais.
Qui a toujours 1001 projets, des événements, des sorties, des endroits à visiter, des choses à faire. D’une fille qui a toujours eu beaucoup d’indépendance et de liberté et qui n’aime pas dépendre des autres.
Tu lui demandes de mettre une grosse partie de sa vie sur pause et de l’accepter sans broncher et sans chialer sous prétexte que ce n’est pas la fin du monde ?
Les premiers jours, c’était encore plus difficile.
La douleur, la fatigue constante après le moindre effort. Le fait de dépendre de mon chum ou de mon fils pour me laver, pour me nourrir. Apprivoiser les béquilles, le poids du bandage sur mon pied. Le reste de mon corps qui croule sous la douleur de devoir supporter ma silhouette sur une seule jambe.
Les larmes qui vont et viennent, celles causées par la douleur, les autres causées par la colère que ce soit arrivé à moi.
Les effets secondaires des antidouleurs sur une fille qui n’a jamais pris de drogue, fumé de cigarette et qui ne boit ni alcool ni café. Un beau mélange de tremblements, de confusion, de maux de cœur. De la morphine dure pour une fille qui accepte difficilement de prendre des Tylenols quand la situation l’exige, c’est rough sur le corps et l’esprit.
Après trois jours, j’ai déjà commencé à agir bizarrement.
J’étais seule à la maison, j’étais en sueur juste après avoir trouvé l’énergie nécessaire pour me faire un smoothie pour déjeuner et réussi à laver mon comptoir.
Ces deux simples gestes avaient réussi à me vider de mon énergie. Je me suis assise, dans le silence de ma maison vide et j’ai fixé le mur devant moi pendant de longues minutes.
Je me suis mise à fixer les ustensiles dans le rack à vaisselle et j’ai pensé à Tom Hanks.
Oui, oui, Tom Hanks dans le film Seul au monde.
J’ai commencé à me dire que j’allais devenir amie avec mes fourchettes, que je leur donnerais des noms, que j’allais leur parler et commencer à leur imaginer des scénarios.
Ça y est, je suis folle.
La morphine ne contrôle pas juste la douleur, elle contrôle aussi le côté rationnel de mon cerveau.
J’ai chassé ces pensées aussi bizarres qu’inattendues de mon esprit et je suis retournée me reposer.
Dans les jours suivants, j’ai dû faire le deuil de mon agenda chargé des prochaines semaines. J’ai dû renoncer à ces petites cases remplies sur mon calendrier du mois de décembre, moi qui attendais ce moment avec impatience. C’est probablement ce qui m’a fait le plus mal dans le constat des effets à long terme de ma condition.
Moi qui adore lire et écrire, j’ai mis plus de 7 jours avant d’ouvrir un livre ou écrire quelques lignes. Les idées pour faire ces chroniques se bousculaient dans ma tête, mais j’étais incapable de les coucher sur papier. Je n’arrivais même pas à terminer la lecture d’un article de blogue alors la perspective de me plonger dans les nombreux romans que j’avais à lire ne m’enchantait pas non plus.
Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait.
Mon esprit paranoïaque se disait même qu’il y aurait la Jennifer avant l’accident et la Jennifer après. Est-ce que c’est possible de ne plus être la même personne à la suite d’une chute, et ce, même si je ne me suis pas cogné la tête ?
Mon esprit partait dans toutes les directions.
T’sais le genre de chose que fait ton cerveau quand t’as le temps de trop penser justement ?
Ça promet pour les semaines à venir…
À suivre…