Pour lire la première partie, c’est ICI.
« Madame, vous êtes où? Vous avez changé de pièce! Hier, j’me souviens, vous étiez dans la cuisine, mais là, je ne me reconnais pas. »
C’est ça, maintenant, ma réalité.
Après 21 jours de confinement, je partage mon nid avec seize paires de yeux.
Vous n’avez jamais vu des enfants aussi excités d’apercevoir la même plante présente dans leur salle de classe que dans ma chambre d’invités, devenue un bureau pour l’occasion.
« C’est la plante de la classe! » que mes élèves eurent le temps de crier avant que je verrouille chacun de leur micro sur muet.
J’aurais payé cher pour pouvoir cliquer sur un bouton mute au cours de toutes mes périodes d’enseignement.
Hey!
Les commentaires inutiles seraient moins fréquents et accaparants (parce que oui, il y en a, des choses qui sortent de la bouche de vos progénitures qui sont moins utiles que d’autres).
Dorénavant, je casserais mille fois mon p’tit cochon pour retrouver le confort et les centaines de questions qui passent par la tête de chacun de mes p’tits.
Écoutez, j’vais vous dire que mon taux d’absentéisme était bas lors des circonstances standard.
Par contre, le pétillement présent dans le regard de mes étudiants n’était pas aussi aveuglant que celui que je constate à tous les jours de cette quarantaine à travers chacune de leur caméra.
Après le congé pascal, je me dis que j’allais retrouver ma hargne d’enseigner ainsi que ma précieuse motivation.
J’peux vous assurer que j’ai frappé un mur.
Ça a fessé fort.
Presque qu’aussi fort que mon lendemain de veille d’anniversaire de mes vingt-cinq ans.
J’ai bien dit « presque ».
Physiquement, je ne me suis jamais sentie aussi bien:
Je vous jure, je suis une vraie joggeuse!
Je cours environ cinq kilomètres par semaine.
J’en profite avant que ça aussi, cela soit interdit parce que les mètres de distanciation sociale ne sont pas respectés entre un cycliste et un coureur quand les deux se rencontrent d’un bord et l’autre de la piste cyclable.
Cependant, le moral psychologie, c’pas top.
La reconnaissance a pris l’bord assez rapidement et ma classe se tanne déjà de l’heure passée devant leur tablette.
En même temps, je ne peux pas les blâmer: entre jouer à mille et une choses comme leurs précieux amis fréquentant une école publique du quartier et étudier quelques heures par jour, le choix n’est pas sorcier!
Je vous mentirais si je ne vous affirmais pas que, moi aussi, la jalousie commence à venir me gruger par en-dedans quand je sais que mes copines enseignantes pour le gouvernement reçoivent leur salaire à s’asseoir sur leur patio et à siroter leur drink sans se préoccuper trop trop de leurs étudiants.
Je suis spectatrice de ma propre baisse de motivation.
C’est assez démoralisant et ça apporte son lot de questionnements et de nervosité:
Suis-je une bonne prof si je n’anticipe pas le retour en classe avec excitation au mois de mai (si le tout est envisageable bien évidemment)?
Est-ce que c’est normal de ressentir une perte d’envie envers l’enseignement?
Qu’est-ce que tu en penses, si oui, je m’ennuie de ma classe, de mon enseignement, mais pas comme je l’avais imaginé?
Jamais je n’aurais cru m’habituer à ce mode de vie au ralenti contraint par le confinement.
C’est un cercle vicieux.
Plus ça dure, moins le goût de replonger dans la « vraie vie » perdure.
Après avoir annoncé le déconfinement futur, les mille et une règles venant avec ont suivies.
J’vais me souvenir longtemps de ce moment-là.
Je ne sais pas pour vous, mais rares ont été les fois que j’ai aperçu une larme couler sur les joues de ma mère.
En vingt-cinq ans, je les compte encore sur les doigts de mes deux mains.
Ma maman est née dans la génération où pleurer, c’est pour les faibles…
Ou tu es bien mieux d’avoir une sacrée bonne raison pour mouiller ma nappe de cuisine!
« Nous, les coiffeuses, sommes des passionnés! »
C’est ce qu’affirmait la femme, se clamant coiffeuse, drôlement vêtue, apparaissant à la télévision.
Un reniflement tanguant vers ma mère me fit sursauter.
Elle pleurait.
Rien de gros.
Sans soubresauts.
Juste assez pour que je perçoive sa tristesse immense de ne plus jamais revoir son salon bondé de clientes et de clients en même temps.
« Je ne reconnaitrai plus mon salon. Je vais devoir coiffer les gens un à la fois. Hey! Je suis habituée de jaser, d’appliquer une teinture sur la tête de une et de couper la frange de l’autre en même temps d’organiser mes rendez du mois prochain. »
Ma maman, elle a toujours les paroles justes à toutes situations.
C’est le genre de personne à voir le verre toujours plein même dans les moments les plus sombres.
J’étais, en bon québécois, sur le cul.
Je me suis empressée d’essayer de la rassurer en lui disant que ça allait bien aller (la phrase la plus répétée au Québec durant ces quarante quelques jours de pandémie), mais j’y connais quoi, moi, en esthétique?
Rien.
Ce sentiment d’urgence qui te remplit d’adrénaline parce qu’il te reste tout le côté gauche de ton client à raser avant que ton timer sonne parce que les mèches de ta prochaine cliente ne peuvent pas rester plus longtemps sous le séchoir, car la couleur va tourner au vert à place de blond…
Je ne le sais pas, moi, c’est quoi.
Ce que je peux vous confirmer, cependant, c’est la nostalgie qui transparaissait dans les yeux de ma mère m’égratigna le cœur.
On dira bien ce qu’on voudra, mais la vie ne sera plus la même.
J’envisage un retour à l’école d’ici une trentaine de journées.
Le gouvernement a annoncé qu’il présenterait son plan de réouverture des écoles la semaine prochaine.
Ma directrice prévoit commander des masques aux couleurs de l’arc-en-ciel à chacun de ses enseignants.
Nous lançons des idées à gauche et à droite quant à la future méthode d’enseignement qui sera préconisée à mon lieu de travail:
Nous, professeurs, enseignerions en live dans l’établissement scolaire du lundi au mercredi et virtuellement le jeudi et le vendredi.
C’est un bel entre deux pour des enseignants forcés d’éduquer les citoyens de demain pas forcés d’aller à l’école, privés de leur examen ministériel et sautant d’une année à une autre sans compromis.
Bien hâte de voir le zoo que j’aurai à gérer.
À suivre…
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