la fin de mon ptit monde -4

La fin de mon p’tit monde – Un journal de confinement – 4e partie

Pour lire les précédentes parties c’est ICI, ICI et ICI.

« Viens voir comment c’est triste! »

« Ça a l’air de petits paquets remplis de plats chinois pour emporter. »

Ce sont les paroles que ma collègue de cycle a su trouver en regardant la douzaine de sacs jonchés un sur l’autre que j’avais paquetés pour mes étudiants que je ne reverrai plus.

Plus jamais.

Mes grands de sixième année s’envoleront pour l’école secondaire dès l’an prochain.

Les chances de les recroiser dans le corridor ou à la cafétéria ne sont même pas près d’être minces.

Elles sont nulles.

Désirez-vous savoir ce qui est moche aussi?

Le vide planant dans ma bibliothèque de classe.

Pour tout vous dire, je ne triomphais pas à m’imaginer devoir désinfecter chacun des livres que mes élèves m’emprunteraient.

Il va sans dire que mon nombre de pas par jour aurait grimper d’un bond (c’est ma Apple Watch qui aurait été fière de moi), sauf que la visualisation de ce système ne m’apparaissait pas fructueux.

Partager l’envie de lire et le goût de la lecture compte parmi mes plus grands buts en tant qu’enseignante.

Tout comme l’enseignement par ateliers.

Et l’apprentissage par travail d’équipe.

Toutes ces ambitions pour lesquelles je prône prennent le bord.

Vous contempleriez une photo de ma classe et vous jugeriez être dans le temps des écoles de rangs :

Les pupitres en rang d’oignon.

Les files d’attente prévues pour l’entrée des élèves dans chacune des pièces.

Un coco à la fois pour se diriger aux toilettes.

La principale différence?

La présence du vide dans les classes.

J’hésitais entre « la présence du vide » ou « l’absence de présence » …

Je suis certaine que vous comprenez ce que je tente de vous dire.

« Ça va bien aller! »

« Ça bien aller, mon œil! »

Le gouvernement a eu le don de nous faire poireauter et de nous faire espérer que la vie reprendrait son cours normal par pelletée de « ça va bien aller ».

Cependant, qui suis-je pour juger?

À vrai dire, il n’y a pas de manuel intitulé « Comment être un bon premier ministre en tant de pandémie » qui existe ou qui peut être emprunté comme bon lui semble à la bibliothèque. 

Après avoir installé une douzaine de lavabos dans les classes de l’école primaire pour laquelle je me dévoue, nous y voilà :

13h11.

Le 14 mai.

« Les écoles de la grande région de Montréal ne rouvriront pas leurs portes avant le mois de septembre ».

Avec les paragraphes précédents, vous en conviendrez que je me doutais de la tournure des événements.

Par contre, entre une pichenette et une claque sur le bord de la mâchoire, la différence n’est pas négligeable.

« Je ne reverrai pas mes frimousses. Je ne les recroiserai plus. »

Ces mots résonnaient fort dans ma tête.

Vous savez, quand il y a tellement d’écho que tout ce qui est perceptible autour de vous, c’est votre propre voix?

Ma tête devint un canyon.

Ça me remémora mon voyage au Pérou dans le Canyon de Colca.

Wow.

Je veux m’envoler loin. Très loin.

Les lèvres de ma mère qui s’agitaient rapidement me firent revenir à la réalité d’un bond.

« Voyons, ma fille! Tu le savais pourtant? »

C’est vrai.

Elle a toujours raison, ma maman.

Elle se leva de table et me laissa digérer le tout (le sandwich au jambon que j’ai engouffré à moitié ou la nouvelle? Sûrement le mélange des deux).

Un tsunami.

Les larmes qui envahirent mes yeux ne prirent pas de temps pour se déverser sur la table en bois de chêne de ma maison familiale.

Je faisais les mille pas entre le salon et la salle manger.

Je tentais tant bien que de mal de me contenir.

C’était la fin de mon p’tit monde.

Néanmoins, j’étais fixée.

J’allais poursuivre ma délicate routine à laquelle je m’étais habituée malgré tout.

Malgré l’hésitation du début.

Malgré tout le déboulement autour…

Une vidéoconférence a été ajoutée à mon horaire à la dernière minute par ma directrice.

Mes écouteurs branchés, le soleil m’aveuglant le visage dans le but de faire disparaître temporairement les traces de ma tristesse, j’écoutai les procédures à suivre pour les quarante-huit prochaines heures.

Sept sacs IGA en carton remplis à rebord plus tard, les mains gercées dû à la sécheresse causée par le lavage de mains récurrent, j’étais prête à dire au revoir à mes seize tannants.

Une visière et des gants d’infirmière en guise de protection, c’était le jour J.

C’est à peine si j’avais réussi à fermer l’œil la veille que, dorénavant, je devais distribuer les manuels, les coffres à crayons, ainsi que le reste de la contenance des pupitres de chacun de mes élèves à leur famille.

Le nom d’un étudiant de la classe de ma collègue de cycle venait de se faire entendre au walkie-talkie d’une des surveillantes du service de garde qui avait gentiment accepté de nous donner un coup de main pour cette journée chargée en émotions.

Et en va et vient du stationnement de l’école et du gymnase transformé en salle d’entrepôt.

C’est avec les yeux rouges et gonflés, sans parler du trémolo dans sa voix, que ma partenaire de travail me confirma que ce ne sera pas de tout repos contrairement à ce que plusieurs d’entre vous peuvent penser.

Mes petits, maintenant devenus grands, garçons ont éprouvé beaucoup de difficulté à me regarder avec leur grand sourire contagieux habituel.

Leur sourire?

Il était vide.

Leur sourire?

Il cachait de la tristesse bien trop envahissante pour un enfant de 12 ans qui tente de son mieux de la camoufler.

Sans parler de mes grands cocos n’étant pas dans la capacité de poser leur regard sur moi, leur enseignante supposée boucler leur primaire de façon extraordinaire, parce que leurs yeux cachaient une quantité innombrable de larmes.

« Une chance que mon fils sait où vous habitez maintenant », m’indiqua une maman tout en me faisant un clin d’œil complice.

Bien oui!

Je suis ce genre de prof, vous me direz en exclamation.

Je suis ce type d’enseignante qui sort de chez elle pieds nus pour aller piquer une jasette avec ses étudiants de sixième année qui ont parcouru dix minutes en bicyclette jusqu’à chez elle pour s’efforcer de retrouver un semblant de normalité.

Sans oublier les deux mètres évidemment!

Un bouquet de fleurs à la main, des douzaines de photos prises avec chacun de mes élèves, et mon sac de travail sur le dos, je fermai la lumière de ma classe.

« À l’année prochaine! » je me dis intérieurement, mais pas trop bruyamment pour me faire pleurer.

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