J’ai toujours pensé que j’étais à l’abri de ça.
Que ça ne m’arriverait pas.
On me dit souvent que je suis une fille dynamique, énergique avec plein de projets et des yeux qui brillent au gré de ses 1001 passions.
Je suis très peu mystérieuse pour la simple et unique raison que je suis un grand livre ouvert.
Triste, euphorique, amoureuse, angoissée, détendue, zen, fâchée, exténuée… tout paraît automatiquement sur mon visage et il m’est souvent impossible de cacher mes sentiments à ceux qui gravitent autour de moi.
J’ai appris un peu à travailler ma poker face dans les derniers mois, mais je suis forcée d’admettre que la plupart du temps, il m’est impossible de cacher mes états d’âme.
J’ai l’habitude d’extérioriser mes sentiments au fur et à mesure, je ne pensais jamais accumuler ceux-ci assez longtemps pour qu’ils puissent me causer des dommages à long terme.
Jusqu’au jour où… j’ai craqué.
Un événement très difficile est venu tout bousculer et me mettre dans un état où j’étais tout simplement incapable d’y faire face.
Prostrée devant la douleur, j’en ai perdu mes moyens et j’ai perdu pied. J’ai été anéantie de douleur et je ne retrouvais plus mes repères.
Je n’entrerai pas dans les détails parce que, pour une rare fois, je n’ai aucune envie d’étaler ce que je vis. La douleur est encore trop vive, mon cœur trop écorché.
À ce moment-là, toute ma peine s’est dirigée vers ma tête, mon cœur, du bout de mes doigts à mes orteils. Un choc qui parcourt mes veines, un sentiment de lassitude qui m’envahit et l’impression que le monde entier pèse de toutes ses forces sur mes épaules.
Je me croyais à l’abri d’un tel choc.
Je suis une fille forte quand même. Je m’autorise rarement à être celle qui se laisse abattre. Mon chum, mon fils et même ma meilleure amie disent souvent que je suis un pilier. Que lorsque je ne vais pas bien, ils sont déstabilisés parce qu’ils ne savent pas quoi faire et surtout quoi dire pour atténuer ma peine. Justement parce que je me laisse rarement aller à de telles démonstrations.
J’ai toujours l’impression que je dois être celle qui va bien.
Celle qui sourit, qui masque son désarroi. Celle qui détourne les yeux pour qu’on n’y voie pas les larmes qui perlent au coin.
Celle qui fait ce qu’il faut pour que ça ne paraisse pas trop. Celle qui s’arrange toute seule. Celle qui en parle quand ça ne va pas, mais sans rentrer dans les détails. Elle ne voudrait pas passer pour celle qui s’épanche trop sur ce qu’elle vit, par peur d’ennuyer les gens avec ça.
Très peu de gens connaissent les vraies raisons de mes angoisses et mes tourments. Je raconte les grandes lignes de manière vague et souvent désinvolte. Question de montrer que je n’y accorde pas tant d’importance, mais surtout parce que, rappelle-toi, je suis un livre ouvert.
Mais en réalité, ce qui se passe réellement dans ma tête, personne ne le sait vraiment.
La fois où j’ai craqué, j’ai eu littéralement l’impression de me casser en deux.
Que mon corps se séparait en deux identités distinctes. Que ma tête était figée, mon cœur était à découvert et recevait des décharges électriques. Des petits chocs de douleurs inconnues, mais surtout impossibles à maîtriser.
J’ai eu envie de me cogner la tête sur un mur, de frapper quelque chose, de lancer un objet, de crier ma rage. J’aurais voulu sortir de mon corps pour y revenir plus tard et reprendre le contrôle. Me quitter l’espace d’un instant pour ne plus avoir à me gérer.
Cet état s’est poursuivi pendant près d’une semaine.
Une semaine à rager, à pleurer, à me flageller, à vivre dans le déni, à refuser les mains tendues par mon entourage, à leur crier des noms parce qu’ils ne comprennent pas mon état, à tout mêler ce qui va bien avec ce qui ne va pas.
Une semaine à ne plus comprendre qui je suis.
À me demander si je ne vais pas aller encore plus loin.
À me demander si j’arriverai à faire face et me dire que ça aussi… ça passera.
La fois où j’ai craqué, j’ai compris.
Compris que je n’étais pas à l’abri des démons. Mais que c’était correct de les rencontrer et d’apprendre qu’ils sont bel et bien là, tout en essayant de les apprivoiser.
Je serai peut-être mieux préparé la prochaine fois que je craquerai.