Le roman «Le plongeur» de Stéphane Larue est un livre qui nous plonge dans l’univers des cuisines de restaurant et du nightlife de Montréal. J’en avais entendu parler en écoutant des entrevues avec des cuisiniers et des auteurs de roman noir; ça donne le ton sur le style du livre.
Le protagoniste étudie en graphisme au cégep du Vieux-Montréal et habite en colocation dans un appartement dans le quartier Ahuntsic. Bien qu’il mène une vie rangée, on se rend compte qu’il a une dépendance au jeu. Il se prend dans un tourbillon qui le tire vers le fond : il s’endette, il ment et il perd la confiance de plusieurs personnes. Pour faire de l’argent et rembourser ses dettes, il accepte un poste de plongeur dans un restaurent à Montréal. Il se joint à la gang de cuisiniers qui travaillent d’arrache-pied à tous les soirs et qui sortent dans les bars après chaque shift. Il embarque dans leur style de vie bien particulier. On suit le personnage dans cette aventure avec ses collègues tous très colorés et sa dépendance au jeu.
«Je prends une gorgée de Tremblay. Le goût de céréales mouillées m’emplit la bouche. Bébert garde un œil sur la partie de hockey, sa grosse main refermée autour de sa bière. Il a maintenant des tatouages jusque sur les doigts, et ses mains ont enflé depuis le temps. Des mains marquées par vingt ans de cuisine, par les brûlures quotidiennes, le couteau à coquillage qui glisse et se plante dans la paume, les mauvais coups de lame qui retranchent les bouts de doigt, par les milliers de shifts passés à écosser, éplucher, émincer, touiller, éviscérer, désosser, hacher par les manipulations répétitives et interminables d’aliments crus ou en train de cuire, par l’infinie succession des poêlons, par le récurage des comptoirs en stainless et des ronds de poêle en fonte à l’aide de laines d’acier et de dégraisseurs aussi abrasifs que du solvant.» page 24 du roman «Le plongeur»
Le style d’écriture qui tire vers l’hyper-réalisme documentaire m’a beaucoup plu. Les détails ont une place très importante, de sorte qu’on peut s’imaginer être le personnage principal. Bien que je sois peu habituée à ce style de rédaction, je trouve que c’est ce qui fait le charme de ce livre. La description de scènes de certains «rushs» dans la cuisine est si détaillée qu’on s’imagine y être et on a chaud pour lui!
«J’avais eu raison de croire qu’il y aurait beaucoup à faire. Pour ma part, avant le coup de onze heures, je devais avoir épluché quatre poches d’oignons, qui devaient peser au moins la moitié de mon poids chacune, avoir fait la même chose avec des échalotes grises, et les avoir passées au robot. Il fallait déshabiller les bulbes un à un avec le couteau d’office. Les yeux me brûlaient, je pleurais des larmes acides, les conjonctives en feu, comme si j’avais nagé trente longueurs sans lunettes de natation.» page 313 du roman «Le plongeur»
Par ailleurs, le protagoniste se lie d’amitié avec un cuisinier qui est connu pour son Anarchie culinaire : Bob le chef. Ce dernier a une influence très positive sur lui. J’étais ravie de «rencontrer» ce cuisinier et d’en apprendre plus sur sa façon d’être derrière les fourneaux. Dire que je fais encore des recettes tirées de son livre.
Le personnage principal est un adepte de groupes de metal et la musique est présente tout au long de l’histoire. Un chapitre est dédié à la description d’un spectacle du groupe Megadeth auquel il assiste.
«Un grondement répété est monté dans la foule. Le Métropolis s’est mis à trembler. Je le sentais dans chacun de mes os et dans mon plexus. Puis la foule s’est mise à scander «Megadeth! Megadeth!» dans un chœur qui gagnait en puissance à chaque cri. Je me suis mis à crier moi aussi. L’électricité se propageait entre les bras levés par centaines. Puis ils ont baissé les lumières de la salle et ça a hurlé plus fort encore. J’ai frissonné jusque sous les talons.» page 348 du roman «Le plongeur»
On est loin de l’histoire comme les films Ratatouille ou encore Julie et Julia! Au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture, on suit ce personnage qui tente du mieux possible de se sortir de sa dépendance au jeu. Ses journées de travail et les sorties dans des clubs huppés et les bars de quartier nous ramènent dans un Montréal du début des années 2000.
«J’ai poussé la porte. Les semelles de mes bottes ont claqué sur la tuile. Mes joues brûlaient, mais pas à cause du froid. J’ai marché vers le fond de la salle. J’ai tiré mon tabouret, je me suis assis, et j’ai glissé un vingt dollars dans la fente de la machine. Elle l’a aspiré du premier coup. J’ai gardé l’autre pour de la bière. J’ai choisi Cloches en folie et j’ai lancé ma première mise. Les premiers tours, aucun 7, aucune cerise ne se sont arrêtés dans les cases. Que des fruits sur les horizontales. Rien de payant. Mais je suis resté juché sur le tabouret et j’ai continué à miser. La serveuse m’a sorti de ma transe. C’est à ce moment que j’ai pris conscience du lieu où je me trouvais.» page 114 du roman «Le plongeur»
Je recommande «Le plongeur» aux adeptes de Montréal, puisqu’on fait référence à plusieurs endroits emblématiques, ainsi qu’aux amateurs de roman noir. «Le plongeur» se veut un poème sur les dépendances et une chronique d’une cuisine vue de l’intérieur.
LARUE, Stéphane. Le plongeur. Le Quartanier, collection Écho, 2016, 567 pages.