La fin de mon ptit monde

La fin de mon p’tit monde – Un journal de confinement – Partie 1

Le 12 mars 2020 sera gravé dans la mémoire de plusieurs pour le reste de leur existence.

Dont la mienne.

« Okay, gang, c’est important que tu m’écoutes. C’pas drôle ce qui se passe présentement. »

Je vous assure que mon langage recherché et de niveau standard a pris le bord quand je fus forcée d’annoncer à mes élèves de sixième année que j’ignorais quand ils refrenchiraient le seuil de la porte de la classe que j’avais soigneusement décorée dès le début septembre afin de la rendre la plus chaleureuse possible.

« L’environnement dans lequel baigne les apprenants est primordial pour descendre leur filtre affectif selon Krashen. »

Ouais, j’vous confirme que les théories et les affirmations scientifiques approuvées en éducation ne m’ont pas vraiment servie cette journée-là non plus bien franchement.

« Yes! J’vais être en congé pendant deux semaines »!

Ces paroles parsemées de joie et d’ignorance prirent un tout autre tournant quand les petits yeux de mes seize tannants croisèrent le regard de leur enseignante d’anglais, une de mes précieuses collègues d’ailleurs.

Paniqué.

Effrayé.

Le silence qui retomba en fit éclater quelques-uns en pleurs.

La prof expérimentée, qui clamait avoir tout vu au cours de ses maintes années d’enseignement, cherchait ses mots.

Elle semblait aussi tourmentée que mes cocos.

Je réalisai que la situation qui se déroulait devant moi était non seulement digne des films post-apocalyptiques que les réalisateurs se plaisent à nous dépeindre derrière un écran noir, mais qu’aucun cours ne peut être suivi quant à apprendre le comportement irréprochable à adopter en période de crise sanitaire.

Je vous mets au défi d’ordonner à une gang d’enfant âgés entre 11 et 13 ans de collecter l’entièreté de leurs manuels scolaires dans le but de les mettre dans leur sac d’école, de les rassurer du mieux que vous pouvez en pigeant dans votre sac de beaux mots (oui, en tant que passeur de savoirs, vous vous devez de vous armez de plusieurs formules de gentillesse et de confiance), de leur expliquer calmement que ce n’est pas la fin du monde, de les rassurer en leur affirmant que vous allez les revoir et tout ça, le plus rapidement possible, sans laisser paraître une graine d’inquiétude, en plus de vous convaincre vous-même que #çavabienaller (sans oublier de prendre une couple de respirations à travers tout ça).

Juste à rédiger cette phrase mon souffle s’écourte.

La peur.

L’incertitude.

Le désir de protection.

Tout qu’un cocktail!

Je vous jure que je l’ai bu cul-sec sans que mes genoux tremblent (je ne vous parle pas de ma voix par contre).

Chose certaine: j’vais me souvenir longtemps de mon premier contrat d’enseignement au primaire.

Je vous rassure: ce n’est pas la fin de mon écrit. Loin de là même.

En regardant mes élèves quitter au loin, la persuasion de les revoir lundi, ainsi que le positivisme, m’aveuglaient.

Nous sommes le 27 mars et le seul contact que j’eus avec mes élèves, c’est via une plateforme de discussion instantanée.

L’école virtuelle débute le 30 mars. 

Mes cocos sont excités.

Qui l’eut cru?

Des enfants contents de suivre des cours à la place de FaceTimer leurs amis?

J’vous le jure!

Je compris l’importance et la valeur de ma personne quand ma boîte de courriels déborda de messages, de vidéos et de photos provenant de « mes enfants » me réclamant et cria haut et fort que je leur manquais, que les notions étaient bien plus le fun quand j’y ajoutais mon dynamisme et que l’impatience les habitait déjà de me « revoir ».

Pour être honnête, la virtualité, ça m’effraie.

Même à 25 ans, je trouve que le contact humain est moins intimidant que l’écran devant lequel je me trouve pendant que vous rédige ces quelques lignes.

Cependant, croyez-moi, dès que j’aperçus les seize visages illuminés de mes élèves s’accumuler dans mon ordinateur, je ressentis cette barrière tomber.

Mon Dieu!

J’pensais que mon coeur allait exploser tellement la dose d’amour que je recevais était incommensurable.

 « Les profs, pendant la quarantaine, ils ne complètent même pas 20% de la tâche qui leur est assignée. »

Qui sommes-nous pour juger?

Je comprends que cela puisse être inconcevable que je garde le même salaire tandis que je suis assise dans mon salon à la place de ma classe, en train de planifier la ou les semaines à venir (contrairement à bien des individus, malgré le fait que je sois enseignante, je ne connais pas tout, encore moins l’avenir, hein), mais, présentement, encore jusqu’à aujourd’hui, mon horaire de travail n’existe plus.

Mon ordinateur est ouvert avant même que mes yeux le soient complètement, le matin, et, le soir, même la nuit, mes messages continuent de s’entasser parallèlement à mon angoisse.

Des mots, crachés de la sorte, ça blesse et ça cause des pleurs.

À suivre…

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