Le 13 mars dernier, je disais au revoir à mes cocos sans savoir que ce serait la dernière fois avant un bout de temps.
Si j’ai d’abord cru que nous partions tous en congé préventif pour 2 semaines, j’ai dû vite enfiler mes ailes d’anges 72 heures plus tard afin de prêter main-forte aux parents travaillant dans les services essentiels. L’une de mes collègues a d’ailleurs écrit un magnifique texte ICI qui explique bien nos sentiments du moment.
Semaine après semaine, j’ai accueilli des enfants inconnus à mon milieu habituel en essayant de m’attacher à eux tout en leur donnant le meilleur de moi-même. Tout en sachant que ce serait temporaire… mais jusqu’à quand? Quand retrouverais-je mes cocos avec qui je passe pratiquement plus de temps au quotidien qu’avec mon propre enfant? Est-ce que les choses allaient reprendre leur cours normal à un moment donné?
Le 1er juin, après avoir dit au revoir à ceux dont j’ai momentanément pris soin, j’ai pu regagner mon local dans l’espoir de retrouver mes cocos. J’ai reçu masque, visière, protocole à lire et à appliquer, j’ai retiré casse-tête, pâte à modeler, jouets en tissus et tous autres jeux difficiles à laver et au lieu d’accrocher de beaux dessins sur les murs, j’ai dû y afficher les nouvelles mesures d’hygiène.
J’ai déplacé des meubles, organisé mon local à aire ouverte en jeu de Tetris où les meubles s’emboîtent, créé des espaces délimités bien spécifiques où il sera facile d’isoler les enfants pour m’assurer de les protéger du virus. J’ai pensé naïvement que la vie retrouverait un semblant de normalité et qu’on pourrait voir la lumière au bout du tunnel après deux mois dans une situation irréelle qui passera maintenant à l’histoire.
Parce que t’sais, ça va bien aller qu’ils disent.
À peine mes ailes déployées et ma cape de super-éducatrice enfilée, j’ai frappé un mur.
Le premier jour.
Certains me diront que j’ai eu le temps de m’habituer après deux mois à pratiquer la distanciation avec les enfants, mais il y a une distanciation à laquelle je n’étais pas préparée : celle avec mon cœur.
Alors que j’avais du plaisir à accueillir mes cocos et leurs parents tous les matins, je dois maintenant attendre que la collègue responsable de l’accueil m’amène mes cocos après leur avoir préalablement lavé les mains.
Terminée, la petite jasette dans le cadre de portes où le parent m’explique pourquoi son enfant a passé une mauvaise nuit.
Terminé, le regard attendri du parent sur sa progéniture en le voyant se diriger vers ses amis.es et avoir ainsi la certitude qu’il passera une belle journée.
Terminé, le sourire de bienveillance et le merci dans le regard du parent lorsqu’il vient chercher son enfant à la fin de la journée. Ce petit moment qui me convainquait tous les jours que je faisais une différence dans la vie de leur enfant et qu’ils en étaient reconnaissants.
Terminé le câlin réconfortant qui me permet TOUS LES JOURS de recoller les morceaux brisés de l’éducatrice à bout de souffle que je suis après 18 ans de métier.
Je dis terminé, mais j’ose croire que le mot est fort. Je devrais dire momentanément suspendu. J’ai besoin de croire que je pourrai bientôt les serrer contre mon cœur sans avoir triché.
Parce que oui, des fois, je triche.
C’est contre nature pour moi de rester éloignée. De les laisser pleurer. De les laisser à eux-mêmes sans pouvoir les réconforter. J’ai peur du virus, je m’en voudrais de l’attraper parce que j’ai voulu consoler un gros chagrin même s’il n’en est pas véritablement un. Mais je suis simplement incapable de passer mes journées sans leur offrir un peu de ma chaleur humaine. Cette même chaleur qui fait partie de mon CV depuis le jour 1 où j’ai mis les pieds dans la profession.
Je les regarde jouer à des tables séparées et mon cœur se serre. Alors que j’ai toujours encouragé le partage, leur capacité à développer leur autonomie et les jeux symboliques où les enfants doivent échanger, je dois maintenant les restreindre à conserver les mêmes jouets sans possibilité de se les échanger.
Plutôt que de planifier mes prochains thèmes et mes futures activités, je dois pour l’instant mettre en priorité la désinfection de tout ce qui a été touché par mes cocos et m’assurer que toutes les surfaces touchées sont nettoyées. Les enfants prennent plaisir, pour l’instant, à mettre les jouets dans les lavabos pour m’aider et j’admire leur résilience sur laquelle on devrait tous prendre exemple. Ça m’aide de les voir si bien réagir. Je les trouve beaux et forts, mes cocos.
Je ne calcule déjà plus le nombre de fois où j’ai dû répéter : «Éloigne-toi, tu es trop près de ton ami» dans une même journée. Le pincement au cœur que je ressens en prononçant ces mots n’est pas près de s’estomper.
On est peut-être encore loin de pouvoir se faire un gros câlin collectif pour se féliciter d’être passé au travers.
Mais j’ai hâte à la journée où on pourra le faire.
En attendant, j’ai du plomb dans les ailes, j’ai les mains gercées par le désinfectant et j’ai le cœur un peu grafigné.
Mais ça va bien aller qu’ils disent…
3 Comments
Pingback:
Pingback:
Pingback: