Je l’ai déjà dit ICI, je suis chanceuse et je vis cette pandémie de manière très privilégiée depuis le tout début. J’ose même dire que je suis heureuse et que je vais repenser à cette période avec un brin de nostalgie malgré tout, lorsque ce sera terminé.
Parce que oui, un jour, on pourra reprendre notre vie.
Mais j’espère que ça ne sera pas nécessairement comme avant.
J’ai envie de garder cette belle courtoisie qui s’est développée quand je marche et que je regarde les gens dans les yeux. Leur hochement de tête et leur sourire me réchauffent le cœur. Alors qu’en temps normal, il me semble étrange de saluer de parfaits inconnus, je ressens maintenant plus de bienveillance envers les autres et j’ai envie de leur communiquer un peu de chaleur humaine. Ça me fait du bien de dire «Lâchez pas» à ceux qui m’aspergent les mains de désinfectant. J’aime penser que ces deux mots sont peut-être un petit baume sur sa journée qui n’en finit plus.
Est-ce qu’on peut continuer à lever les yeux et croiser le regard de ceux qui nous entourent plutôt que de regarder le sol ou un écran sans se préoccuper de son prochain? Parce que sinon, ça se peut que je passe pour la fille bizarre qui distribue des sourires à la ronde et qui offre des regards soutenus sans raison. Oui, j’ai l’intention de continuer à porter attention aux gens qui m’entourent et pas uniquement ceux que je connais.
J’ai envie de continuer à faire mon pain, à prendre le temps de laver mes fruits et mes légumes comme il faut et de ne pas cesser de m’interroger sur mes habitudes alimentaires. J’ai beau avoir hâte de retrouver mon restaurant préféré, d’aller flâner sur une terrasse ou me faire inviter chez mes amis ou ma famille, je ressens beaucoup de fierté d’avoir entre autres appris à cuisiner mes propres bagels et d’avoir essayé 24 combinaisons de smoothies différents le matin parce que j’avais le temps.
Je sais très bien que le chaos des matins de semaine ne me permettra plus de prendre le temps de déjeuner à la table de ma cuisine plutôt que sur le coin d’un comptoir au travail. Mais est-ce que je peux quand même me faire plaisir en imaginant que j’ai le temps de mixer mes fruits dans mon Magic Bullet le matin plutôt que la veille pour gagner du temps?
J’espère ne pas reprendre ma vie comme avant sans avoir conscience du bonheur dont je dispose, du beau qui m’entoure et surtout la chance que j’ai d’être en santé. Les petits plaisirs comme aller à la bibliothèque me choisir des lectures qui me font du bien, les sorties à la Ronde, aux glissades d’eau, la visite à la crèmerie du coin, les brunchs à l’heure du dîner les fins de semaine, les parties de cartes avec la famille qu’on voit trop peu souvent même quand tout est permis, tout ça revêt maintenant une aura magique.
Je sais que la vie passe vite, que c’est un privilège d’être en vie et en santé. Cette certitude me frappe en pleine face depuis quelque temps. Est-ce qu’on peut arrêter de prendre tous ces privilèges comme des acquis inébranlables? La vie nous brasse en ce moment, elle remet en cause tout ce que nous avions cru établis et coulé dans le béton.
On ne peut pas revenir en arrière, il faut commencer à accepter le fait que ce que nous avons connu jusqu’ici risque d’être bouleversé à tout jamais. J’ai confiance de retrouver une certaine normalité, parce qu’un moment donné, même l’anormal risque de devenir normal.
Je sais que toutes les épreuves que la pandémie a mises sur notre chemin ne seront pas sans conséquence pour plusieurs. Mon cœur saigne quand je pense à tout le côté noir et sordide que le virus amène sur notre quotidien et qui fait de l’ombre aux arcs-en-ciel qui ornent les fenêtres.
Ça va bien aller, mais pour qui? Pour tout le monde? Malheureusement, non.
Mais naïvement, j’ai quand même encore un peu de place pour l’espoir.
On ne reprendra peut-être pas la vie comme avant, mais j’ai le droit de croire que ça va peut-être être mieux.
Un jour?
J’espère que oui.